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INTIMES REGARDS

 


20/11/04

Richard Cerf

Novembre 2004

CARTES

«  Si c’est indescriptible, ça n’existe pas… »

Vous êtes assis, empaqueté dans une masse compacte d’air brûlant, muet, en apesanteur, le regard en plan fixe sur des trajectoires qui se multiplient à l’infini et vous restez de longues heures à rien d’autre.

La chaleur peut être une panacée. À forte dose, elle évapore la mémoire, anesthésie l’anticipation, fissure la chaîne causale. La raison et l’implacable logique deviennent de fausses pistes.

Vous renoncez à la compréhension, un recul immédiat se mélange à l’instant et une joie tranquille s’installe alors. Quelque chose de familier et d’inconnu à la fois réjouis votre âme.

Dans ces moments, tout semble accordé.

Il arrive que l’un de nous sorte de cette torpeur.

Soudain, on le voit se redresser, projeter un long jet de salive d’entre ses dents pour aussitôt se laisser retomber dans un vide bienveillant.

Vous êtes donc assis au bord de la rue…  De l’autre côté de la latérite, un homme, perché sur une chaise-tabouret, se fait raser à l’ombre du mur de sa concession. Passent, une femme un éventail rouge de juteuses tranches de pastèques en équilibre sur la tête, et d’autres encore avec des pyramides de petites oranges, de bananes, d’arachides ou des étoiles de noix de colas. Certaines ont dans le dos un enfant endormi tout rond.

Là, une vache esseulée, en quête d’un mythique brin d’herbe, traîne sa mélancolie en compagnie de deux moutons flegmatiques sortis d’on ne sait où.  L’arrivée cahotante du taxi rapiécé, surchargé, qui manque à chaque instant de se briser par le milieu, les trouble à peine.

Une très vieille grand mère, ses longs doigts décharnés agrippés à une cuvette sur sa tête, assure chacun de ses pas et met un temps infini à contourner la femme installée là chaque jour, à cuire et vendre ses beignets de mil.

Arrive, un grand pneu emballé poursuivi par un gamin. Une ribambelle piaillante les escorte.  En quelques secondes, ils rejoignent et dépassent l’homme au vélo quincaillerie et sa montagne de casseroles qui progresse déconcerté par la multitude de trous à cet endroit. Au même moment, les croisent deux gaillards, en grande discussion sur une Mobylette enfumée. Voulant éviter, d’abord le pneu, ensuite le vélo et sa cargaison tintinnabulante, ils épargnent de justesse la vie d’un poulet suicidaire et disparaissent, bondissants comme des kangourous fuyant dans un nuage de poussière rouge. Pendant ce temps, les pagnes et les boubous multicolores des longues filles souples qui ont une épaule nue reviennent, passent et repassent…

Un gentleman entre deux âges, costume de tweed trois pièces, coiffé d’un chapeau tyrolien, se promène, tirant avec raffinement sur une longue pipe de bruyère, saluant au passage, d’un signe de la main, le médecin ambulant chinois qui va d’un pas rapide, stéthoscope au vent.

Puis un cow-boy, un chapeau de panoplie à étoile de shérif en plastique doré, rabattu sur des immenses lunettes noires, allant tête haute, bras écartés, le torse comprimé dans un t-shirt en drapeau américain constellé de trous.

Et un groupe compact de touristes égarés en tenue d’explorateur…

Un jeune couple un peu hagard : elle, le crâne lacéré par les lignes rose vif qui séparent ses petites tresses, et lui, des logs naissantes et le nez entièrement recouvert de crème solaire, frôle notre « grain » sans le voir.

À mes pieds, le chien criblé de morsures à divers stade de cicatrisation, semble en être à son deuxième jour de sieste.


 



Màj : 3/10/07 14:43
 
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