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30/05/04

Maud Sterlingots

8 juillet 2004

CARTES

D’Est en l’Ouest : nécessités, mythes et réalités des Roumains en France.

À la chute du mur de Berlin les occidentaux se sont réjouis. Il en était fini des « malheurs » de l’Est. L’Occident en sous-main avait très certainement aidé à cette « libération ». Il s’est donc senti naturellement quitte face aux difficultés que les peuples de l’ancien « bloc de l’Est » eurent à connaître pendant 50 ans. Pour l’Occident, le plus dur était fait. Ces peuples ne pouvaient qu’être les bénéficiaires naturels des changements. Le cours normal du capitalisme et du libéralisme triomphants, par la « régulation » (terme magique pour les économistes tenants de ces théories) amènerait tous les états nouvellement « libérés » à un système et un niveau de vie comparables à ceux des pays occidentaux. L’heure de la prospérité pour tous avait sonné. Qu’en est-il 15 ans après ?

Espoirs et réalités

Si nous en jugeons par ce que nous lisons, voyons, entendons et  même vivons… le matin du grand soir libéral ne c’est pas encore levé sur les pays de l’Est. Pour être plus exact, il ne s’est pas levé pour tous de la même manière.

Certes les Nomenklaturas ne disent plus leur nom mais elles existent et sévissent toujours. Seule différence, elles se sont habillées des costumes respectables des businessmen. Dans les faits ce sont en général les mêmes personnes qui bénéficient des changements. A cet égard, il est assez symptomatique de regarder les organigrammes des ex-conglomérats russes par exemple : les noms des principaux dirigeants ont peu changés, leurs méthodes de « travail » non plus d’ailleurs ! Ils ont souvent constitué leurs fortunes en s’appropriant les biens dont ils assuraient jusque là la gestion pour le compte de l’ancien régime avec la « bénédiction » du nouveau ? Ce modèle semble également faire fureur en Roumanie.

Les pouvoirs actuels ont fermé les yeux dans un premier temps puis ont compris  extrêmement rapidement tout le parti qu’il pourrait tirer de l’octroi d’une certaine autonomie à ces nouvelles fortunes. Ces retours sur investissements, d’un type particulier, réalisés par les nouveaux (?) dirigeants politiques servent à alimenter les caisses de nouveaux partis, les campagnes électorales, les prévarications de toutes sortes et bien d’autres aspects de la vie politico-économique de ces pays.

Le niveau de vie des habitants des pays dits de l’Est évolue peut-être mais très lentement et une analyse rapide permet de mettre en lumière au moins une évidence : les fossés des inégalités hérités du système communiste ne se sont pas comblés. Ils ont parfois changé de topologies. Les fractures perceptibles en Occident entre les « toujours plus » : toujours plus riches ou toujours plus pauvres trouvent une résonance encore plus grande dans des pays qui loin d’avoir combler leurs décalages de départ avec l’Occident se trouvent frappés de plein fouet par leur arrimage aux économies de l’Ouest.

Dans le concert des pays communistes ayant basculé d’un système économique et politique (dans une moindre mesure) vers l’autre, la Roumanie semble tenir une place particulière. « Nous n'étions ni soviétiques ni européens, nous roumains, nous étions spéciaux ». Telle est la définition de la physionomie de la Roumanie durant la période 1961-1989 que nous donne Alin Teodorescu, Président de l'Institut d'analyses sociales de Bucarest.

Cette place peut être expliquée par la situation géographique, l’histoire passée et récente, l’inscription dans des enjeux géo-politico-économiques de la Roumanie.


Photo : B.Lhoumeau

La Roumanie et ses espérances

La Roumanie a eu à se libérer non seulement du communisme mais aussi d’une dictature. Ces deux éléments conjugués ont affecté de manière irrémédiable le psychisme et la psychologie d’une, voire de deux (ceci restera à préciser) générations de roumains, tout âge, tout sexe et tout niveau social confondus. Face à cette période de 50 ans chargée de tous les obscurantismes, la chute de Ceausescu a fait l’effet d’un appel d’air chargé de toutes les chimères.

Parmi ces chimères, l’Occident-Eldorado tient une grande place.

En tête, les Amériques - États-Unis et à un niveau moindre le Canada - représentent pour tout candidat potentiel à la sortie de Roumanie, le lieu de tous les possibles : évolution personnelle, accès à la richesse du pays et à l’enrichissement personnel, en résumé la terre promise. Cette perception individuelle est largement confortée par l’attitude des divers gouvernements qui se sont succédés depuis la libération de l’ère Ceausescu.

En effet, pas un Premier Ministre roumain qui ne soit allé  chercher des subsides à Washington et n’en soit revenu triomphant, fier des quelques millions de Dollars « généreusement » octroyés par un Président américain. Ignorant sans doute tout de ce pays et des vicissitudes endurées par son peuple, il est facile de comprendre tout l’intérêt géostratégique que représente la Roumanie pour les dirigeants des États-Unis.

La plus belle illustration de cet état de fait nous a été fournie lors de la déclaration de guerre contre l’Irak (2e épisode). La Roumanie est devenue, sans difficulté particulière semble-t-il, un des « porte-avions » et une base arrière pour une partie de la logistique des États Unis, appui stratégique pour l’attaque, venant se substituer à la Turquie peu prompte à accepter l’utilisation de son territoire par les troupes américaines. Peut-on y voir un retour sur investissements lié aux accords financiers passés entre les deux gouvernements ?

Si le gouvernement Roumain utilise les États-Unis comme pourvoyeurs de fonds, pourquoi une partie de la population roumaine ne souhaiterait-elle pas immigrer vers ce pays de cocagne ? Les gouvernements donnent l’exemple !

En ce qui concerne l’Europe, les espoirs fondés sont autres. Pour les divers gouvernements roumains qui se sont succédés depuis ces dernières années, la volonté d’accession à la Communauté Européenne représente une demande forte de reconnaissance pour leur pays.

Les Roumains souffrent de l’image que les Européens ont de leur patrie : petit pays, pauvre, en retard dans bien des domaines pour ne pas dire archaïque, oublié aux confins de l’Occident, passerelle vers un Orient inquiétant. Les différents articles parus dans la presse française relayés dans la presse roumaine, tout au long de l'année 2003, n'ont fait qu'exacerber ce trouble. Le Premier ministre de la République roumaine, Adrian Nastase avait déclaré à cette époque qu'il ne tolérerait pas que pour de strictes raisons de politique intérieure, « on fasse de la présence de quelques roumains délinquants en France, un volet primordial de la politique sécuritaire de ce pays ».

Les Roumains se sentent profondément européens et entendent bien être reconnus comme tels.

Certes la chance que représentent les retombées économiques liées à l’admission du pays dans la Communauté Européenne n’est pas absente de la démarche vers l'accession définitive. En revanche, il est frappant de constater que les Roumains avec lesquels nous pouvons parler en Roumanie ignorent l’importance des fonds structurels européens dont leur pays pourrait bénéficier pour se développer. Quand bien même certains subodoraient-ils l’importance de ces fonds, ils demeureraient presque tous convaincus que, corruption et malversation obligent - une des plaies du pays - ils n’en verront jamais ni la couleur, ni les retombées directes dans leurs vies quotidiennes.

Leur volonté d'être reconnus et intégrés dans cette vaste famille européenne (dont ils ne doutent pas de faire naturellement partie) occulte de manière presque mythique toute autre forme de discours et d’analyse.

La France une place particulière dans l’espérance roumaine.

La France possède un statut particulier dans l’imaginaire mais aussi dans la réalité des Roumains. Il est frappant de constater que la génération des 50 ans et plus a souvent appris le Français dès l’école primaire. Une certaine frange de la jeunesse actuelle continue à s’exprimer parfaitement dans cette langue.

Par expérience personnelle, j’ai pu constater récemment que, dans trois universités roumaines de Bucarest et de Pitesti, des étudiants en cycle initial ou en formation continue étaient capables, sans difficulté particulière, de prendre des notes et d’intervenir en français sur des sujets techniques. L’apprentissage du Français fait encore partie des « humanités », quand bien même l’Anglais batte cette inclinaison.

Cet amour de la France et de la langue française se transmet de génération en génération depuis le XVIIe siècle. L’image de la France, « terre des Lumières », patrie de la grande Révolution et des Droits de l’Homme inspire encore. Si la libération du peuple du joug d’un pouvoir oppresseur nous semble, à nous Français, porter un parfum suranné d’un romantisme hors du temps, cette référence s’inscrit toujours dans l’imaginaire ou l’inconscient de bien des roumains de Roumanie.

Est-ce ce qui a poussé, vers la France, consciemment ou inconsciemment de nombreux Roumains ? Une fuite comme une promesse d’échapper à la folie du régime de Ceaucescu pour trouver refuge dans le pays de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité ? Toujours est-il qu’un nombre non négligeable de roumains a demandé et parfois trouvé un asile politique qui lui a permis de fuir un régime de folie et parfois de se construire une vie en France.

Les Roumains de la seconde vague semblent être poussés vers la France essentiellement pour des raisons économiques. Immigration engendrée par une misère récurrente d’une partie de la population qui espère en quittant sa terre, que l’Ouest et ses promesses de vie plus facile permettra une embellie temporaire ou durable de leur existence qui n’en finit pas de se frotter au malheur.

Tous les discours sécuritaires, toutes les campagnes médiatiques désignant le Roumain comme un prédateur, un nouveau barbare, une atteinte à la sécurité et aux bonnes mœurs faites homme, femme ou enfant, toutes les reconduites aux frontières, toutes les expulsions, tous les accords gouvernementaux bi-latéraux pèsent-ils quelque chose face aux espoirs, aux désespoirs, à la misère, aux désirs d’un ailleurs fut-il mythique ?


 



Màj : 3/10/07 17:19
 
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