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RELIGION, SOCIÉTÉ

 


07/01/05

Maud Sterlingots

24 décembre 2004

CARTES

Noël et ses métissages.

Si nous  passons outre les frileux replis identitaires accompagnés de fortes résistances à la notion de métissage, nous constatons que cette dernière peut être « démasquée » dans un grand nombre de traditions, de croyances ou de comportements humains très actuels.

Observons de près Noël. Du nord au sud et de l’est à l’ouest, les hommes célèbrent cette fête. Cette forme de globalisation, par ses aspects mercantiles, rappelle l’autre mondialisation, mais si nous en observons l’aspect religieux « universel », nous ne pouvons que constater que la chrétienté fut, avant l’heure, un courant fortement « mondialisateur » et « uniformisateur ».

Loin de surgir d’un néant absolu, les religions comme les civilisations sont le fruit d’un « métissage » et d’une combinatoire d’éléments venant de plusieurs cultures. Ce sont ces aspects que nous allons mettre en lumière et plus particulièrement au travers de la fête de Noël.

Le christianisme fruit de métissages

Le christianisme a pris naissance et s’est nourri dans une zone géographique riche en traditions et philosophies de tout ordre. Il a intégré, dès ses origines, des éléments de réflexion, de croyance, des rites et des coutumes venant des Juifs, des Zoroastriens, des Egyptiens, des Grecs et des Romains. La liste n’est sans doute pas limitative.

Au fur et à mesure de son extension géographique, le christianisme s’est approprié, il a absorbé, digéré bon nombre de coutumes locales et les a faites siennes en les revêtant des habits de la Révélation. Celtes, Slaves, Germains ont également imprégné à leur manière certaines célébrations. Noël n’échappe pas à ce phénomène ; bien au contraire cette fête représente sans doute un des exemples les plus forts de ce syncrétisme culturel.

Le mystère d’un Dieu fait homme qui est la fondation chrétienne de la fête de Noël, fait écho aux certitudes profondément ancrées chez les humains qui savent que la générosité du printemps va remplacer la sévérité et la rudesse de l’hiver. Le soleil remplace la lune, le jour chasse la nuit. Dans une largesse sans égale, la chaleur, la lumière vont être sources de vie, de joie et de festins. Ces phénomènes cosmiques ont été depuis la nuit des temps, objet de cultes.

Questions de dates et emprunts fondateurs

L’alternance soleil et lune, celle des saisons sont sans doute à l’origine des rites et les fêtes. Les premières heures du christianisme n’ont pas échappé à cette empreinte cosmologique et symbolique. Sur les peintures et les mosaïques des temps chrétiens originels figurent souvent aux cotés de la croix, le soleil et la lune afin de marquer la nature divine (solaire) et humaine (lunaire) de Jésus. 

Si l’Église des premiers siècles a prêté peu d’attention à la naissance du Christ célébrant surtout Pâques, vers 300 les églises latines décidèrent d’instituer une fête particulière pour célébrer la naissance à l’humanité de Jésus. Après beaucoup d’hésitations, la date fut fixée au 25 décembre, sans qu’aucune écriture ne permette d’étayer un tel choix.

Il est maintenant communément admis que cette date a permis de faire correspondre la nativité avec d’autres fêtes populaires dans l’Empire romain. Sol invictus, fête du Soleil triomphant avait lieu au solstice d’hiver, à cette même date on célébrait également la naissance de Mithra divinité solaire dont l’empereur romain était l’incarnation depuis le règne d’Aurélien en 275 après J.C.

Du 18 au 22 décembre, les jours précédant le solstice, les romains honoraient Saturne, dieu des semences. Une semaine plus tard, le premier jour des calendes de janvier ils fêtaient Janus, dieu aux deux visages. La fête symbolisait le passage d’une année à l’autre. Les maisons étaient décorées de lierre, de branches de laurier et d’olivier gage de bonheur. À cette occasion, on échangeait des cadeaux, poupées et masques de terre.

Puisque nous en sommes à la forme des cultes, il faut également souligner que les peuples nordiques célébraient à leur manière le solstice d’hiver par d’énormes beuveries nocturnes. Plus que d’autres, ils en appelaient à la renaissance du soleil. Odin, leur dieu majeur venait au secours des hommes. Il luttait contre les démons du froid. Il était vénéré devant l’âtre où brûlaient des bûches… de sapin. Il visitait tous ses fidèles en traîneau tiré par des rennes ou des cygnes.

Si l’église d’Occident (l’église latine) avait voulu célébrer la naissance de Jésus et fait « coller » son calendrier avec les célébrations antérieures au christianisme, l’église d’Orient considérait comme date-clé non la naissance mais le baptême de Jésus par Jean-Baptiste. La Théophanie, naissance divine, a toujours lieu le 6 janvier. Cette date avait l’avantage de correspondre à la naissance d’autres dieux originaires de Méditerranée orientale : Tammuz, dieu assyrien pastoral et solaire, vieux de trois mille ans qui fut, dans son enfance, occupant de la grotte de… Bethléem et Dionysos-soleil assassiné par les Titans qui renaissait chaque… 6 janvier.

L’Égypte fêtait l’anniversaire de Aion, le dieu soleil né de Koré… la vierge. Durant cette célébration, on veillait en chantant et en jouant de la flûte. À l’aube, au premier chant du coq, on descendait dans une grotte souterraine pour honorer l’enfant divin « parce qu’en ce jour, le plus court, le soleil ressemble en quelque sorte à un petit enfant ». Cette naissance dans une grotte est encore écrite de nos jours sur les icônes vénérées dans toutes les églises orthodoxes à travers le monde.

Si nous avions besoin, pour être édifier, de compléter la liste des emprunts du christianisme aux croyances antérieures, il faudrait souligner également que la plupart des divinités solaires étaient nées de vierges, que plusieurs d’entre-elles ont enduré une « passion » suivie d’une mort et d’une descente aux enfers pour ressusciter ensuite. Mais n’anticipons pas sur le calendrier.

C’est Jean Chrysostome, bien qu’issu de l’église d’Orient, qui parvint à faire adopter la date du 25 décembre par l’ensemble des chrétiens. Cette date fut rendue obligatoire par le concile d’Agde en 506 et l’empereur Justinien en 529 déclara la Nativité comme jour chômé. Tous les peuples européens qui furent christianisés par la suite ont adopté le 25 décembre comme jour de célébration de la fête de Noël. Saint Patrick l’imposa en Irlande en 461, saint Augustin de Canterbury en Angleterre en 604, saint Colomban en Suisse en 615, saint Boniface en Allemagne en 754. Puis au cours du IXe siècle, tour à tour les Scandinaves, les Slaves, les Magyars furent évangélisés et célébrèrent Noël, le 25 décembre.

Cette date fut facilement acceptée par ces peuples car elle correspondait à des festivités anciennes issues des mythologies locales. Les Anglo-saxons fêtaient Wotan au solstice, les Germains par peur des fantômes errant à cette saison avaient instauré les « douze nuits sauvages » qui correspondent aux douze jours entre Noël et l’Epiphanie… Ces douze jours nous renvoient aux douze jours « glissants » entre le calendrier solaire et le calendrier lunaire. Douze jours  qui séparent toujours, la commémoration de la nativité entre l’église latine et l’église orthodoxe de Russie qui elle est restée fidèle au calendrier julien afin de ne pas se  plier aux « diktats » des latins et du Pape.

Les temps de Noël et leurs géographies

En Europe méridionale, les églises ont entouré la Nativité d’un symbolisme cosmique. La nature est invitée à participer à cette naissance divine. En Grèce, par exemple, pendant  les douze jours situés entre la veille de Noël et l’Épiphanie les éléments sont sensés se déchaîner libérant des forces obscures. C’est le temps où les animaux parlent pour instruire leurs maîtres sur l’avenir, le vent dans les arbres fait de même, du bois d’olivier qui brûle dans l’âtre on peut tirer des présages. Tout fait signe, les rencontres fortuites, les lapsus, les actes manqués. On va jusqu’à partager entre morts et vivants, un repas rituel fait de vin bénit et de pain consacré.

De la mer Noire à l’Atlantique et à la mer du Nord, on trouve les traditions les plus archaïques pour célébrer la nativité. De la Roumanie, à l’Ukraine méridionale jusqu’en Pologne, on peut encore voir, entre Noël et l’Epiphanie,  des « sorties » de masques : ours, taureaux, chèvres, boucs. Ces maléfices sont escortés de fifres, de tambours, de claquements de fouets et de bruits de cloches.

En Europe septentrionale, l’ensemble des nordiques furent évangélisés à partir du Xe siècle mais leur isolement hivernal a largement contribué à la conservation de coutumes dites « archaïques et païennes ». Le pouvoir des chamans et le respect des divinités de la nature sont toujours présents chez les peuples souvent nomades du grand Nord. Christianisme et communisme n’ont pas eu raison de leurs croyances originelles.

Mais comme nous l’avons vu, toute tradition païenne peut trouver son pendant «christianisé». Dans les pays à dominance orthodoxe comme la Russie par exemple, le long jeûne de Noël est rompu par un repas préparé la veille, durant cette journée on ne mange rien jusqu’à la première étoile. Avant de s’attabler et de partager ce plat entre vivants et morts, on tirait à la courte paille pour savoir si la récolte serait bonne ou mauvaise. Le grain y symbolisait la vie renaissante et le miel, la douceur. L’écrivain russe Ivan Chmeliov, réfugié en France en 1922, publia des écrits nostalgiques dont un récit d’un Noël russe où nous pouvons lire ceci : « On prépare la Koutia, une bouillie de froment au miel, et un sirop de pruneaux, de poires, d’abricots séchés. On pose le tout sous les icônes, sur un peu de paille. Pourquoi ? … Et bien, en guise d’offrande au petit Jésus…Comme s’il était couché sur la paille de la crèche. »


 



Màj : 3/10/07 14:43
 
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