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POLITIQUE, SOCIÉTÉ, BILLET D'HUMEUR

 


09/10/04

Maud Sterlingots

08/10/04

CARTES

Emmurés et toujours vivants ?

Et pendant ce temps-là Rostropovitch faisait chanter son violoncelle…

Nous fûmes un certain nombre à ne pas nous réjouir béatement à la chute du mur de Berlin. Nous qui connaissions peut-être plus intimement la profondeur des abîmes qui séparaient les deux mondes, ceux de l’ouest et ceux de l’est, nous pressentions que, les réactions émotionnelles passées, d’autres murs devraient tomber. Ces forteresses faites de ressentiments et de mépris, d’incompréhension et d’arrogance ne tomberaient pas aussi rapidement et facilement que les tonnes et les tonnes de béton du mur, modernes plaques tectoniques séparant deux blocs géopolitiques en voie de vitrification. Deux mondes si éloignés ne pouvaient pas donner naissance à une nation unique et unifiée parce que d’aucuns venaient de le décréter.

Quelques 20 années plus tard, la séparation demeure entre deux Allemagnes, l’Ouest qui à grands coups de milliards de Deutschemarks n’a pas pu digérer une Allemagne de l’Est bien plus pénétrée et plus fière de sa culture passée que de la pénurie matérielle généralisée. Il fut décider de donner du temps au temps. Cette jumelle souffreteuse devait passer par un « purgatoire » avant de pouvoir jouir de la plénitude vécue par les nations florissantes que son double avait atteinte grâce aux perfusions Marshall du sortir de la « deuxième » guerre mondiale. Il en fut décidé ainsi, ce fut une politique délibérée d’union avec probation, mise à niveau et observations diverses. N’oublions jamais que ce fut bel et bien une politique intentionnelle de ne pas vouloir réaliser la véritable union, à égalité, des deux parties de l’Allemagne.

En d’autres termes le mur est tombé, mais, presque tout sépare encore ces deux sœurs, le salaire minimum, les investissements en matière d’infrastructures, le système de retraite, les salaires… Bref, il reste un mur bien plus compact et infranchissable que toutes les constructions du monde… Un mur qui sépare les deux poumons d’un même état… L’Allemagne respire mal en ce moment, mais, elle respire encore !

On voudrait nous faire croire maintenant que décidément ces gens de l’Est resteront d’éternels inadaptés au processus libéral de l’Ouest, que ce bloc d’anciens communistes n’est pas adapté ni adaptable à une Allemagne occidentale membre fondateur d’une Europe occidentale forte, prospère, active et conquérante. L’Est resterait un boulet que l’Europe devra traîner pendant bien des années encore. De là à poser la question de l’opportunité de l’intégration des anciens pays de l’Est en Europe… Il y a un pas allégrement franchi par certains commentateurs politiques… qui se gardent bien de rappeler les particularismes de la « fusion » allemande. En revanche, ils ne manquent pas de se servir de cet exemple pour démontrer que décidément rien n’est possible avec l’Est.

Borderline

Il faut avoir franchi la frontière entre l’État de Californie et le Mexique pour bien comprendre et visualiser ce que veut dire le mot « Borderline ». Tout est limite. L’enregistrement systématique de l’immatriculation et du type de toute voiture se risquant de part et d’autre de la frontière, l’hélicoptère qui survole la ligne-route poussiéreuse entre les deux pays, les fossés avec herses de barbelé qui courent sur des milliers de kilomètres et maintenant les murs de tôles pour dissuader les candidats à l’immigration vers les États-Unis. Ne pas franchir cette ligne, qui marque la frontière entre une certaine forme d’opulence et le manque criant, sous peine d’y laisser sa peau. Tendresse et humanité ne riment pas avec efficacité et protectionnisme.

Borderline les milliers de laissés-pour-compte, peuplant par exemple Tijuana, funambules de misère, espérant de quelque société américaine implantée sur place un secours sous forme d’emploi improbable. Borderline, ces milliers (?), millions (?) de Mexicains travaillant sans papier dans les familles aisées de Californie. Nounous girondes pour enfants gavés, jardiniers et nettoyeurs de piscines logés sous les escaliers, cuisinières et femmes de chambre en tablier bleu à rayures blanches que la clandestinité oblige à vivre recluses chez des patrons sans doute plus arrogants que méchants.

Borderline les ghettos pour riches avec murs d’enceinte, gardiens, laissez-passer spéciaux et systèmes d’alarme construits sur la côte mexicaine pour quelques nantis américains en mal de protections contre… leur réalité ou leurs phantasmes ?

Mais quelle est cette folie qui pousse les Américains à séquestrer les Mexicains à l’abri de leurs murs aux États-Unis ? Ces mêmes américains à verrouiller le plus hermétiquement possible la poussée des sans, sans papier, sans argent, sans espoir ? Et par un retour burlesque des choses ces mêmes américains choisissent de se claquemurer dans de modernes citadelles en attente d’assaillants autochtones devant lesquels ils agitent leurs « richesses » impudiques ?


Photo © Bernard Lhoumeau

Ces murs vus du ciel

Un serpent fou qui caracole de montagnes en collines, qui flirte avec le transsibérien, qui se joue des millénaires, parfois écroulé, parfois refait pour que des millions de touristes de l’intérieur ou des étrangers viennent se faire photographier sur quelques marches ou quelques parapets. Un mur qui disait-on était la seule construction humaine visible depuis l’espace. Les mythes tombent. Les murailles élevées pour se protéger de l’envahisseur demeurent et plus personne ne semble se rappeler les morts, ouvriers de l’inouï. La Chine d’aujourd’hui se joue de cet emblème. Forteresse assoupie d’un œil. Tout craque. La muraille ravalée au rang de symbole se commercialise. Ballons, cartes postales et spots de publicité, tout est bon pour faire rentrer de modernes devises. Achat d’une certaine liberté avec l’argent du mur ?

Autre mur qui sépare père et fille, champs et laboureur, écoles et écoliers, oliviers et moulin, qui enserre inexorablement dans ses anneaux ivres de sang, de violence et de meurtres des… territoires brouillons d’une nation que l’on voudrait éclatée, ocellée comme la peau d’un félin tachée du sang mélangé de tous ses enfants. A-t-on jamais cru que la vie poussait à l’ombre de prisons géantes en forme d’état ?

Des murs pour protéger, des murs pour dissuader, des murs pour éliminer, des murs pour démoraliser, des murs pour séparer, des murs pour… Quelle est cette frénésie de murs qui touche notre 21e siècle ? 500 kilomètres de grillage électrifié entre le Botswana et le Zimbabwe, un mur construit par l’Ouzbékistan sur les terres du Kirghizistan afin de « protéger » sa capitale Tachkent des attaques terroristes islamiques, vous en voulez d’autres ? Même cause même moyen, l’Inde construit son mur pour se protéger du Cachemire… la litanie s’arrête-t-elle là ? Je n’en suis même pas sûre. On nous a dit Liberté, Liberté chérie… Et tout se déroule comme si nous n’aspirions qu’à nous réfugier et à « vivre » derrière des murs en tenant l’Autre à distance de peur qu’Il ne veuille vivre près, tout près, trop près de nous, dûssions-nous tous mourir emmurés dans nos peurs et nos rejets, nos haines et nos chagrins.

Et si nous décidions, de commencer par abattre nos peurs personnelles et nos murs intérieurs, la face de l’humanité n’en serait-elle pas, juste, un tout petit peu changée ?

 


 



Màj : 3/10/07 17:18
 
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