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13/07/04 Mathilde Mézières CARTES

Une porte dorée pour l'immigration

Par un de ces raccourcis qu’affectionne particulièrement l’Etat français, un musée de l’immigration va voir le jour, à Paris, porte Dorée en lieu et place de l’ancien Musée des arts africains et océaniens.

Un musée chasse l’autre, présentée ainsi cette information en soit, n’appelle aucun commentaire. Et pourtant !

La France après beaucoup d’autres pays éprouverait-elle le besoin de garder une trace particulière de sa mémoire ? De montrer une réalité trop souvent occultée ? D’expliquer pour mieux faire comprendre une part de son histoire au travers de celle de l’immigration ? Rien de remarquable en cela si ce n’est le retard avec lequel l’Etat français semble prendre en compte une des données fondamentales de son histoire.

Le Gaulois des manuels d’histoire n’existerait-il plus ?

Symbole d’une France qui se rêve résistante à toutes formes d’invasions, le petit bonhomme blond de la fiction populaire devait bien avoir dans les veines, quelques gouttes de sang immigré venu du Nord, de l’Est et peut-être même du Sud !

Installer son histoire sur un tel mythe n’est pas neutre. La France qui aime à se montrer, seule, tenant tête bravement à des empires changeant de nom au fil des siècles ; romains ou états-uniens n’hésita pas à construire, elle aussi, ses propres dominations dans le mouvement et la lignée des bâtisseurs d’empires du 19e siècle.


Photo : B.Lhoumeau

Fin du fin, elle s’exposa en un musée porte Dorée et avec elle, les trésors empruntés ? Volés ? Préservés ? Des contrées « pacifiées », « civilisées », «moralisées». Masques, statues, fétiches devinrent un des signes tangibles de la toute puissance de l’empire colonial français offerts aux regards de visiteurs fascinés mais oublieux ou ignorants des contextes ayant prévalus à cette immigration d’un autre type.

Il faut avoir parcouru ce palais, pur chef d’œuvre d’architecture 1930, qui abrite une masse « hallucinante » d’objets « habités » pour comprendre que leur force va bien au-delà d’une simple figuration fut-elle celle des arts africains et océaniens. Ils servirent de modèle à Picasso ; ils nous rappellent aux souvenirs des richesses de civilisations et de cultures bien plus subtiles et construites que l’image répandue à profusion par les colonisateurs.

L’image de ce musée n’est-elle plus politiquement correcte ?

Par quel tour de passe-passe, conscient ou inconscient, ce Musée, sorte d’exposition coloniale, devient-il le « Musée de l’histoire des cultures de l’immigration » ?

La réponse nous est donnée, dans le Figaro du 08 juillet 2004, « afin de déconstruire l’image d’une immigration héritée de la colonisation ». Tout est dit ! Il faut déconstruire une image ! Voilà qui nous laisse sans voix. Pour déconstruire, une réalité et non une image, n’en déplaise aux instigateurs de ce projet, il suffirait d’enfermer dans des caisses, de transporter et de déposer près d’un fleuve, quai Branly à Paris quelques « reliques » d’une histoire soumise à relecture et ré-interprétation.

Et si nous remplacions Paris par Nantes, Bordeaux ou La Nouvelle Orléans ?

Ceci nous renverrait, sans doute, à d’autres « images » d’une « réalité » où des migrants malgré-eux, enchaînés à fond de cale devinrent main d’œuvre pour des bâtisseurs de nouveaux mondes dont les descendants sont peut-être, eux-aussi, amateurs d’un art issu de ces mêmes peuples méprisés et marchandisés.

A moins que, plus prés de nous, nous nous souvenions mieux des trains, bateaux et autres cars affrétés pour aller cueillir une main d’œuvre indispensable aux capitaines d’industries de nos années « glorieuses » passées.

Où allaient-ils la chercher cette force vive indispensable à l’expansion industrielle de la France? Le plus souvent dans ces pays où de modernes rabatteurs avaient leurs habitudes à moins qu’ils n’aient joué de « l’image » fantasmée d’une ancienne colonie salvatrice.
Où allait-elle s’arrimer, pour une part non négligeable, cette main d’œuvre? dans une île bien sur et là encore il ne s’agit pas d’une « image » mais bien d’une réalité, la réalité des usines Renault et de l’île Seguin qui furent d’énormes consommatrices d’ouvriers immigrés, importés directement par leurs soins.

Par un autre signe de l’histoire, à ceux qui souhaitaient que l’île Seguin abrite un musée de la main d’œuvre migrante ayant participé à l’expansion de la Régie Nationale des Usines Renault, symbole de l’industrie automobile nationale, il fut répondu par une fin de non recevoir. Le vaisseau de l’Île sera reconverti en partie en un … Musée… celui qui abritera la Fondation d’art contemporain d’un autre capitaine … d’industrie. Le projet a été confié à un architecte… japonais… un immigré éminent, reconnu du monde entier Tadao Ando.

Gageons que nous puissions y admirer quelques œuvres cubistes directement issues de l’observation et de l’admiration de peintres et de sculpteurs qui en d’autres temps firent un tour par la porte Dorée…

Mais, Messieurs les politiciens, de grâce ne nous demandez pas de prendre la réalité des faits pour de simples images et surtout ne tentez pas, dans une manœuvre encore plus sordide, d’opposer l’immigration européenne à des « flux minoritaires » issus « de la colonisation puis de la décolonisation ».

J’allais oublier, êtes-vous conscient d’avoir offert à l’immigration le Palais de la porte Dorée ? Enfin quelque chose de… fastueux et de doré… dans des vies qui ne l’ont pas souvent été.


 



Màj : 3/10/07 17:19
 
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