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16/11/04

Marcia Gomis Cá

25 octobre 2004

 

La mobilité sociale en France autour d’une population minoritaire.

Cet article est extrait d'un travail de recherche de DEA en sociologie.

Qu'est-ce que la mobilité sociale ?

Comment se construisent des trajectoires individuelles de mobilité sociale ascendante, d'une population de jeunes noirs de parents migrants, dans un contexte discriminatoire ?

Telles sont les deux approches étudiées.

Cette étude se situe dans le courant de la mobilité sociale. Premièrement, parce que la mobilité sociale est liée à la question de la transformation des sociétés et aux changements de position sociale des individus. Deuxièmement, pour montrer que ces jeunes peuvent être acteurs de leur vie et peuvent connaître une certaine mobilité sociale par rapport à leurs parents. Ceci permet de sortir de la logique de l’échec ou de la stigmatisation, relative à cette population.


Qu’est-ce que la mobilité sociale ?

Le champ de la mobilité sociale est l’un des plus riches de la connaissance sociologique. D’une manière très globale, la mobilité sociale désigne les changements de position dans la structure sociale, exprimés par le statut socioprofessionnel ou la classe sociale. Ce concept est une idée moderne qui s’accompagne d’un désir de réussite, de grimper dans l’échelle sociale et se manifeste par des valeurs modernes telles que l’égalité, la liberté et le progrès. Elle a connu un vif intérêt dans les années 50 et 70, parce qu’elle est le “ baromètre d’une valeur moderne : celle de l’égalité des chances offertes à tous ”·. Ce thème est classique en sociologie et présent très tôt chez les grands auteurs classiques comme Alexis de Tocqueville, Karl Marx ou Vilfredo Pareto.

Pour Tocqueville dans La démocratie en Amérique, la question de la démocratie est étroitement couplée avec celle de la mobilité sociale car elle est au fondement de l’ordre social démocratique.

Elle permet la croyance des Américains en un ordre social comme clé de voûte de l’intégration. Cette vision renvoie également au rêve américain qui souligne qu’il est possible facilement de se mouvoir dans la société.

Quant à Marx, il utilise la mobilité dans sa théorie de la “ bipolarisation ”. Pour lui, il y a deux classes, l’une bourgeoise et l’autre prolétaire. Il prétend que la classe bourgeoise est appelée à rejoindre celle des prolétaires à cause du phénomène de la mobilité descendante produit par le système capitaliste. À propos des Etats-Unis, il note que la société américaine représente un véritable paradoxe parce qu’elle est la plus capitaliste mais en même temps la moins révolutionnaire. En ce sens la force au capitalisme américain, passe par l’existence d’un passage entre les classes entraînant une démobilisation des mouvements collectifs parce que la société américaine offre aux individus des mobilités individuelles. Les individus n’ont donc plus besoin de remettre en cause cette société.

Cette problématique se retrouve chez Pareto avec une vision élitiste, à travers sa théorie sur la circulation des élites. Pour lui la stabilité sociale est assurée par la circulation des élites.

Enfin Marx, Tocqueville et Pareto font référence à la mobilité sociale mais sans la théoriser. Tous concluent à l’existence d’une mobilité importante dans les sociétés industrielles, sans tenir compte de la mesure de cette mobilité (sans mesurer des effets par des enquêtes statistiques avec des tables de mobilité). Ce type de mobilité sociale explicitée par ces auteurs “ freine les révolutions, chacun ayant quelques choses à gagner ou à perdre, mais développe un certain conformisme et multiplie les petits conflits, chacun devenant un rival ".

Par contre, c’est seulement en 1927 qu’elle sera théorisée par Sorokin, sociologue américain d’origine russe. Une mobilité devenue pour les chercheurs dans les années 50 et 70, un champ privilégié d’étude, d'abord investi par les anglo-saxons puis par les français. La mobilité sociale est abordée différemment selon qu’on est de tradition américaine ou française. La perspective américaine dans l’entre-deux-guerres est développée par des sociologues qui reconnaissent l’existence des hiérarchies sociales, déterminées en partie par le processus de la division du travail. Ils admettent que les inégalités sociales ne reflètent pas les différences d’aptitudes entre les individus et la mobilité sociale est appréhendée comme le résultat d’une sélection des individus par différentes instances comme l’école, la famille, l’organisation etc. Cette sélection remplit deux fonctions. Premièrement, chaque individu est affecté à une certaine place en fonction de ses aptitudes. Deuxièmement, il est possible pour tout individu de parvenir aux positions les plus élevées (par la motivation et l'envie de réussir) parce que la mobilité sociale est au centre du système des valeurs de la société moderne, celle de l’égalité des chances. Une approche développée aussi par Sorokin.

Quant aux sociologues français, ils adoptent jusque dans les années 70 une autre approche qui surgit autour des débats sur l’école et les inégalités des chances, traitée surtout par Raymond Boudon et Pierre Bourdieu. Pour Bourdieu, la réussite scolaire est fortement liée à l’origine sociale et ce sont les enfants des classes les plus favorisées qui profitent de la massification des effectifs scolaires de la mobilité sociale. Elle est faible en France à cause des inégalités sociales, mais aussi des structures scolaires et sociales qui n’évoluent pas de la même façon. En cela il se différencie de Boudon, pour qui les chances d’accès à une position sociale élevée ne sont pas que dépendantes de la réussite scolaire (une réussite constitue un moyen de mobilité sociale ascendante). La faiblesse de la mobilité sociale est indépendante de l’inégalité des chances à l’école, c’est plutôt le résultat des phénomènes de structures et ce sont les stratégies des acteurs et des familles qui font la forme de la mobilité sociale. D’où l’importance de “ l’individualisme méthodologique ”·, pour Boudon.


Généralités des approches théoriques de la mobilité sociale intergénérationnelle ascendante.

Dans les collectivités à hiérarchie rigide, les regroupements s’opèrent selon des catégories strictement délimitées, tant sous un angle politique que d’un point de vue économique. Ce type de structuration exclut que les groupes soient accessibles les uns aux autres parce que le caractère héréditaire est quasi inéluctable de la distribution et des rôles. En revanche, dans les sociétés industrielles à prétention égalitaire, cette structuration est brisée en droit comme dans les faits. La référence à des catégories socioprofessionnelles, renvoie à une démarche empirique et descriptive (perspective anglo-saxonne des échelles de prestige). À l’aide des tables de mobilité sociale, il est possible de mesurer l’influence du milieu d’origine (surtout la famille) et des autres instances de socialisation (le système scolaire notamment) sur les cheminements suivis et les qualifications obtenues. En France, les enquêtes de formation, de qualification professionnelle (FQP) mettent en évidence un “ effet de lignée " et la nomenclature des PCS sert de support aux observations recueillies.


Photo © B.Lhoumeau

La mobilité sociale désigne ainsi le passage d’un individu ou d’un groupe d’individu social à un autre. L’étude des changements de position sociale dans l’échelle sociale peut être menée selon deux optiques. La première compare la position sociale d’un individu à deux moments de sa vie, c'est la mobilité intragénérationnelle ou la mobilité professionnelle. La comparaison s'effectue auprès de la catégorie à laquelle appartient l’individu en fin de carrière à la catégorie à laquelle il appartenait en début de carrière. La seconde compare la position d’un individu ou d’un groupe à celle des parents, c'est la mobilité intergénérationnelle ou mobilité sociale. La mobilité intergénérationnelle est celle qui nous intéresse, il s’agit de la circulation d’un individu du groupe social auquel il appartient à l’origine (celle de la famille, du père, de la mère) à un autre groupe. Nous comparons la catégorie sociale à laquelle appartient l’individu à la catégorie sociale à laquelle appartient sa famille. En général l’INSEE fait la distinction entre la mobilité professionnelle et la mobilité sociale. Or ces points de vue peuvent correspondre à une même mobilité car se réfèrent au même indicateur : la profession. Nous parlons de mobilité sociale dite intergénérationnelle, en prenant en compte la profession des personnes puisque nous partons toujours des professions (élément indicateur de positions sociales).

Ce thème de la mobilité sociale intergénérationnelle est intéressant dans la mesure où il est un thème majeur de la sociologie contemporaine en raison de la contradiction qui apparaît dans les sociétés industrielles avancées, comme la France, entre un idéal démocratique d’une société égalitaire, méritocratique et les réalités sociales résultant davantage de l’hérédité sociale. C’est une conséquence d’un modèle républicain intégrationniste et assimilationniste qui prône l’égalité et ne la respecte pas dans les faits. Cela renvoie à la contradiction qui existe dans la société française entre un idéal égalitaire pour tous et les phénomènes de discrimination à l’égard des jeunes de parents noirs et migrants, qui “ bloque ” leur promotion sociale.

Cette mobilité peut être horizontale ou verticale. La verticale retient notre attention parce qu’elle s’accompagne d’une modification de la position sociale d’un individu dans la hiérarchie sociale. En même temps, elle est structurelle car elle dépend de l’évolution de la structure de la population active ; ainsi la baisse du besoin d’ouvriers impose qu’une partie des enfants change de catégorie sociale.

L'étude prend en compte la mobilité individuelle plus que la mobilité collective parce que pour la population noire, il y a des réussites mais c'est davantage sur le plan personnel qu'elle est la plus manifeste, théoriquement ; parce qu'en France, l’intégration est une expérience considérée comme individuelle. Parler de mobilité collective n'est pas possible ici, sauf pour révéler que le groupe des jeunes d’origine africaine et antillaise s’est déplacé dans la hiérarchie sociale par rapport à leurs parents, même si cette mobilité est souvent vue horizontalement. C'est-à-dire que leur position dans la hiérarchie reste identique mais avec un changement de profession ou d’activité. Également, nous ne pouvons parler de mobilité collective parce qu’il faudrait faire une étude avec un panel plus important, or ce n’est pas le cas.

Cette étude s'inspire du concept de réussite sociale parce qu’il a un rapport étroit avec le phénomène de mobilité sociale intergénérationnelle. La réussite est définie par des critères objectifs, comme la position hiérarchique, la richesse, le pouvoir et la notoriété. De nombreuses recherches ont été faites sur les hommes illustres du passé et sur les personnalités dirigeantes afin de savoir si ces critères objectifs étaient promis à tous, conformément à l’idéal égalitaire. Les chercheurs utilisent la méthode statistique et recueillent des précisions sur les origines géographiques, familiales et professionnelles des personnes. Les limites de cette approche nécessitent d’être prudent lorsque qu'il s'agit des comparaisons internationales et dans le temps car les modalités de recrutement et les critères de sélection varient selon les pays et varient avec l’étendue des échantillons. Par contre lorsqu’il s’agit des études de la mobilité sociale les résultats sont plus pertinents.

Par exemple, les recherches d’Alain Girard sur la réussite sociale en France mettent en évidence les modalités de la réussite sociale comme le milieu urbain ou encore les facteurs biologiques non séparables du contexte social. "Certes, la réussite, dans quelque domaine que ce soit, suppose des qualités et un effort personnel, mais qui risquent de se perdre, s’ils ne sont pas favorisés par des circonstances extérieures, qu’il appartient aussi à la société de susciter ". Cette citation soulève l’influence des facteurs extérieurs, aux motivations et aux aptitudes intrinsèques aux individus, sur la réussite sociale. L’objectif de son étude se base sur des “ circonstances extérieures, familiales et sociales susceptibles d’avoir exercé une influence sur la vie de personnes choisies en fonction de critères simples attestant leur réussite ", avec pour hypothèse que les capacités innées des individus peuvent être soit efficacement actualisées, soit au contraire obérées par l’environnement. Girard conclut son étude sur la réussite sociale en France en disant que tant que la famille “ continue à remplir, dans la société, les fonctions essentielles qui demeurent les siennes, d’identification sociale et de perpétuation du nom, comme d’éducation du petit enfant, il paraît bien difficile d’assurer à tous l’égalité complètes ”. En somme, il note une certaine influence de l’hérédité et du milieu social.

Nous sommes d’accord avec ce constat qui souligne le rôle de moteur ou de frein (selon la situation) joué par la catégorie sociale familiale dans les changements sociaux. En France, l’hérédité sociale reste encore prédominante et fait que nombre de jeunes noirs de classes populaires sont obligés d’employer des stratégies de contournement, de promotion sociale pour s’intégrer dans le monde professionnel. C’est la théorie de la reproduction et de la domination de Bourdieu. L’angle de Bourdieu est intéressant, puisque malgré tout, les façons d’être de chacun s’acquièrent dans un milieu social donné et se transmettent à travers les “ habitudes incorporées ”, ce qu’il nomme habitus. Dans la société moderne à visée égalitaire, la mobilité sociale, dans son idée de remise en cause d’un strict déterminisme qui pèse sur la production des destinées individuelles, devrait permettre aux individus issus des milieux populaires d’accéder aux “ plus hauts rangs dans l’ordre du prestige ”. Avec Bourdieu, ce n’est pas toujours le cas. C’est pourquoi le concept d’” individualisme méthodologique ” de Boudon peut s’inscrire aussi dans notre démarche car nous avançons l'idée que les jeunes noirs dans un contexte discriminatoire cherchent à optimiser leurs intérêts. Pour Boudon, les phénomènes sociaux, comme la mobilité sociale intergénérationnelle ascendante, doivent être abordés comme la résultante d’actions individuelles, de comportements guidés par la raison.

Quant à l’étude de Leboyer, elle pose le postulat suivant : la mobilité ascendante résulte de “ l’ambition professionnelle ” des individus. Il cherche en tant que psychologue, “ les motivations responsables de la réussite sociale ”, en décrivant les formes que prend l’ambition professionnelle, puis sépare et récapitule les déterminants sociaux et les déterminants psychologiques de l’ambition. Puis, il est intéressant de soulever ce point parce que si on se reporte à Alfred Sauvy qui aborde le thème de la mobilité sociale comme la possibilité d’une vertigineuse ascension, la mobilité a quelque chose de fascinant. La réussite suscite une certaine admiration en même temps qu'elle provoque jalousie et envie, cette émulation suscite l’ambition des personnes, qui dans une société veulent s’en sortir en mettant en place des stratégies individuelles.

Nous prendrons également en considération l’approche de la mobilité sociale ascendante des anglo-saxons. Par exemple aux Etat-Unis, où “ la liberté d’entreprendre à valeur de credo. La réussite y est incarnée par le self-made-man, qui parvient à s’élever par ses qualités personnelles, au terme d’une lutte à armes égales contre ses pairs ”. A contrario en France, “ l’ascension sociale est la récompense du mérite : la progression doit être lente et fondée sur les diplômes et les grades que distribuent, l’Etat, les institutions et les autorités morales. On se méfie des autodidactes, des arrivistes et des parvenus ".

La question est : comment concilier à la fois la croyance à une réussite personnelle et le maintien de l’hérédité sociale ? La réponse prend en compte à la fois la logique française sur la mobilité sociale et la logique anglo-saxonne. Ce choix est motivé par le fait que les jeunes interrogés vivent en France et s’insèrent dans des systèmes de mobilités locales. En même temps ils sont obligés d’être dans des logiques de contournement, ce qui les conduit à vouloir échapper à la prédestination par leur propre volonté personnelle.

Le cadre dans lequel s’inscrit l'étude est plutôt celui de la sociologie de la famille, de la sociologie de l’école et de la sociologie de l’expérience sous le prisme d’un acteur individuel à travers la mise en place d’attitudes, de comportements, donc de stratégies. Pour la sociologie de la famille, des auteurs comme François de Singly, Martine Segalen et P. Bourdieu sont mobilisés pour expliquer l’interdépendance entre la famille et l’école. Michel Crozier et François Dubet sont utilisés pour la sociologie de l’action et de l’expérience. 


 

La mobilité sociale intergénérationnelle comme aspiration et comme conduite.

La mobilité sociale est saisie sous l’angle de la famille et de l’école comme vecteur de mobilité sociale ascendante parce que : “ L’école est le principal appareil d’intégration par les études (…) les enfants d’immigrés s’insèrent dans la société et s’assimilent. L’école offre à la fois la possibilité d’une mobilité sociale ascendante ou d’une intégration culturelle réussie”· .

En France, les familles immigrées africaines et antillaises constituent l’une des populations les plus exposées à l’échec scolaire. À ce titre, cette situation est souvent analysée par les chercheurs, comme la conséquence d’un handicap à la fois social et culturel de ces familles. D’une part, ces familles s’insèrent dans la société française en occupant des emplois non qualifiés qui les concentrent dans des groupes défavorisés dont ils partagent les mêmes difficultés socio-économiques. D’autre part, ces difficultés ont tendance à être d'autant plus marquées que les familles immigrées doivent faire face à un important décalage culturel (linguistique, illettrisme…), notamment davantage pour les migrants africains qu'antillais. Certains des enfants de parents migrants sont donc confrontés à des grandes difficultés scolaires, conséquences de leur appartenance à des milieux sociaux défavorisés mais aussi à un système social qui définit leurs marges de libertés et les contraints.

Tout cela conforte l’idée que la moindre réussite constitue en revanche un phénomène d’investissement qui évolue avec l’avancement de la scolarité. Les difficultés socio-économiques expliquent (en partie) que les parents les poussent à poursuivre et à faire des études pour ne pas (ou plus) être dans la même condition qu’eux. Les études sur l’école et notamment celle de Zahia Zeroulou, démontrent que les parents immigrés, notamment maghrébins, se distinguent nettement de ceux qui sont issus des autres milieux défavorisés par des aspirations scolaires plus élevées. Le groupe des Maghrébins permet d'expliquer celui des Africains subsahariens et des Antillais, même s'il subsiste quelques disparités.

E. Santelli dans son ouvrage La mobilité sociale dans l'immigration souligne que Zeroulou a été l'une des premières sociologues, en 1985, à travailler sur les parcours de réussite scolaire et à mettre en évidence le lien entre ces parcours et les mobilisations familiales. Santelli justifie ce constat par le fait que depuis les années 80, la question du parcours scolaire des enfants de familles d'origine immigrée a certes été souvent abordée, mais sous l'angle de l'échec. Quant à Zeroulou, elle analyse dans son étude les ressources sociales et culturelles qu'engagent les familles algériennes dont les enfants réussissent à l'école et elle fait une comparaison avec à celles dont les enfants sont en échec.

Ces mobilisations se traduisent par des demandes d’orientations beaucoup plus ambitieuses. Puis, Zéroulou constate que les enfants d'origine maghrébine, majoritairement les filles, ont une plus forte réussite scolaire que les enfants d'origine française quand le père est ouvrier. Depuis le milieu des années 80, ce constat s'est imposé au regard des statistiques nationales et renforce l'idée que l'école demeure le garant d'une “ bonne intégration ” parce qu'à PCS équivalentes du père, les résultats scolaires sont meilleurs pour les enfants d'origine maghrébine. Elles sont aussi meilleures pour les enfants d'origine africaine et antillaise parce qu'il y a une forte présence d'étudiants dans ce groupe.

Les sociologues disent que ce rapport étonnant à l’école est une caractéristique commune à l’ensemble de ces familles. Cette particularité apporte une meilleure connaissance des opportunités du système éducatif : ils savent que la réussite de leurs enfants passe par l’école et cela renforce leur implication dans le destin scolaire de leur enfant. Ainsi “ la mobilisation et l’importance accordée à la réussite scolaire sont les facteurs du succès, bien avant la proximité culturelle : beaucoup d’études ont montré que, pour une même catégorie sociale, la réussite scolaire des enfants immigrés est souvent supérieure à celle des nationaux. Enfin la solidité de la culture familiale et le maintien d’une forte intégration de la culture d’origine favorisent la réussite, alors que la déstructuration culturelle et familiale due à l’immigration crée un handicap ". S’agissant de la population étudiée, l’appartenance à une famille migrante est loin de constituer un handicap supplémentaire aux effets induits par les différences de milieu social. Leurs parents attendent beaucoup de l’école et se mobilisent fortement. Même si la plupart sont ouvriers et non diplômés, ils sont plus nombreux que les autres parents à vouloir que leurs enfants aillent loin à l’école, qu’ils fassent des études supérieures. Ces aspirations plus importantes reposent sur leurs difficultés socio-économiques, sur leur statut d'immigré et sur une croyance plus “ coutumière ” dans l’utilité professionnelle du diplôme d’enseignement supérieur, plus que l’enseignement professionnel court. Par exemple ils préfèrent souvent que leurs enfants fassent des études générales plutôt que professionnelles, fréquenter une seconde générale au lieu d'un BEP ou aller à la fac à la place d'un BTS.


Ousmane Saw
Photo © B.Lhoumeau

Nous constatons alors, une interdépendance entre l’école et la famille. L’envie de réussite à l’école provoque un investissement familial et offre une possibilité de mobilité ascendante. En cela l’école se pose comme stratégie d’ascension sociale et l’enfant devient porteur du capital scolaire. Cette compréhension théorique entre cette interdépendance entre l’école et l’investissement familial vient démontrer comme le dit F. De Singly, spécialiste de la sociologie de la famille contemporaine, que “ la famille se définit par sa fonction de support émotionnel qu’elle garantit à ses membres (…) La famille moderne est incompréhensible en dehors de l’histoire de la scolarisation " et fait que l’enfant occupe une place plus importante parce que l’école crée une idée particulière de l’enfant. Depuis Emile Durkheim, les théories de la famille contemporaine se bonifient et placent l’individu au centre de la famille, cela est complété par le rôle décisif de l’école qui définit le souci éducatif. Les auteurs de la sociologie de la famille, comme de Singly et Martine Segalen, montrent le rôle joué par la famille dans la socialisation de l’enfant. Avec l’émergence des familles contemporaines et l’influence des parents dans la socialisation de l’enfant, s’ajoute le rôle de l’école. Les nouveaux partenaires éducatifs étant désormais l’école, le rôle de la classe sociale et les stratégies éducatives.

Les processus familiaux et scolaires sont vus sous l’angle de Bourdieu. Pour lui, la famille a pour fonction de contribuer à la reproduction biologique et sociale, tout en essayant de maintenir ou d’améliorer la position de la famille dans le champ social et pour cela elle met en place des stratégies. Toutes les actions d’une famille renvoient à un projet de maintien ou d’amélioration de sa trajectoire, le monde familial et le monde social ne fonctionnent qu’à la lutte pour les meilleures positions sociales, les meilleures places, plutôt qu’à l’accumulation de profits (notamment du capital scolaire). Ne lire Bourdieu que dans ce sens et croire que l’usage du concept de “ stratégies de reproduction ” ne se résume qu'à cet aspect est un peu réducteur. À ce sujet de Singly dit ceci : “ La théorie des stratégies de reproduction est utile, elle met l’accent sur une certaine unité d’action de la famille contemporaine pour sauvegarder sa valeur sociale (…) Dans la mesure où le capital économique n’est plus au centre des stratégies familiales (puisque le capital scolaire a pour fonction d’être monnayé ensuite sur le marché du travail) et où la famille est caractérisée par son attention aux personnes, le risque est grand de l’idéaliser en pensant que sa fonction principale est celle de garantir aux mieux l’excellence des relations intra-familles et l’épanouissement psychologique de tous les membres de la famille. La perspective dessinée par P. Bourdieu a pour mérite de rappeler la permanence des rivalités sociales pour la conquête des positions dans l’espace social ".

De Singly soulève la question de la pertinence des stratégies de reproduction qui pose problème parce qu’il y a une difficulté de définitions. La difficulté réside dans l’expression (consciemment ou non). Les sociologues nomment alors “ stratégie : l’ensemble des actions ayant un effet positif sur la valorisation des enfants ”. Il faut alors faire attention parce le terme de “ reproduction” ne renvoie pas seulement aux familles riches qui possèdent un capital social fort et qui peuvent le reproduire plus aisément.

Étudier la mobilité sociale dans une société, revient aussi décrire et analyser les relations qui unissent la position des personnes à celle de leurs parents. Dans une société stratifiée, la répartition des individus de chaque génération dans la structure sociale ne se fait pas au hasard, elle ne résulte pas d’une loterie. La position ou le statut atteint par chacun dépend au contraire de son milieu social. Étudier la mobilité sociale intergénérationnelle, c’est alors montrer comment se transmet le statut social des ascendants aux descendants ou comment, à travers les migrants africains et antillais, les jeunes noirs voient leur statut se maintenir ou s’améliorer. D'où l’importance du rôle de la famille vis-à-vis de l’école chez la génération de jeunes noirs, nés et socialisés en France. Précisions que chez les africains, la monoparentalité est faible, cela participe à l’effet de lignée. Par contre chez les Antillais la monoparentalité est forte et l’effet de lignée se fait par la mère, parce que beaucoup d’enfants de cette population sont élevés par leur mère.

Dans cette approche, la famille est vecteur de mobilité scolaire intergénérationnelle puisqu’elle occupe une place importante dans le devenir de ces jeunes. La scolarité ayant un fort impact chez ces familles migrantes, d’où le besoin de pousser leurs enfants à faire des études car l’école est porteuse d’espoir pour ces parents et cela se fait par le biais de l’enfant qui est porteur du capital scolaire. Tout cela donne sens au projet migratoire des parents. Finalement dans l’ensemble la notion de stratégie utilisée par les sociologues pour décrire la relation des familles avec l’école, semble judicieuse.


 

La mobilité sociale intergénérationnelle comme effet individuel.

L'approche de Michel Crozier.

Le concept de mobilité sociale comme aspiration et comme conduite engendre des stratégies et fait émerger un individu-acteur. C'est l’occasion de soulever les limites des concepts de la sociologie de la famille, de l’école et du thème de la reproduction sociale de Bourdieu. Pour cela nous mobilisons Michel Crozier.

Dans son ouvrage L’acteur et le système, Crozier montre que l’acteur n’existe pas en dehors du système social mais en parallèle, il montre que le système n’est pas en soi un absolu sur lequel les individus n’ont aucune prise. La mobilité sociale est un phénomène sociologique avec un caractère de construit social qui existe et se transforme seulement si ce phénomène peut s’appuyer sur des jeux permettant d’intégrer les stratégies de ses participants et s'il assure à ceux-ci leur autonomie d’agents libres et coopératifs. L’acteur est donc engagé dans un système d’action concret et doit découvrir sa véritable responsabilité tout en intégrant “ la marge de liberté dont il dispose ”. Cette approche permet de savoir, comment donner du sens aux stratégies de mobilité sociale intergénérationnelle que mettent en place les enfants de migrants noirs ?

Ici, il s’agit de sociologie de l’action organisée. Cette méthode, basée sur l’analyse stratégique, se positionne sur le plan des relations de pouvoir entre acteurs et des règles implicites qui gouvernent leurs interactions et qui sont nommées ici “ jeux ”. L’analyse stratégique utilise les attitudes comme “ un outil de recherche commode et imparfait ” pour découvrir ces jeux. L’organisation est vue ici comme “ le royaume des relations de pouvoir, de l’influence, du marchandage et du calcul ” et comme “ un construit humain qui n’a pas de sens en dehors des rapports de ses membres ”. Ce qui fait que les actions individuelles bâtissent une capacité collective propre (irréductible à celle de ses membres) au moyen de l’apprentissage à dominer les conflits et phénomènes de pouvoir au lieu de les étouffer. Ce que l’auteur appelle un système d’action concret : "Un système d’action concret est un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux ". Une vision qui souligne l’importance des choix et de la décision. Il s’agit d’orienter les décisions par la définition du problème plus que par une lutte sur les coûts et avantages, et de prendre conscience de l’importance de la pertinence de l’information sur laquelle repose les choix. Crozier pense, qu'à l'inverse des idées qui circulent, les acteurs ne sont pas attachés à leurs routines et sont prêts à en changer rapidement s’ils sont capables de trouver un intérêt dans les jeux qu’on leur propose. Toutefois l’individu doit rompre avec les anciens jeux en sachant que “ tout changement constitue toujours un pari, une rupture calculée ".

Le postulat de Crozier est que tout s’articule et se comprend à partir de la finalité poursuivie par l’acteur et de la représentation qu’il en a. Là, l’objectif de satisfaction est opposé à la motivation. La réussite est basée sur la remise en cause des objectifs et leur reformulation, pour aboutir à un compromis de bon sens. Les finalités prennent leur sens au niveau où elles sont vécues. La méthode de l'analyse stratégique prend également l'option de s’opposer à “ la morale consistant à faire le bien des hommes sans leur demander leur avis ”, aux bonnes intentions, à la “ société vertueuse ” même si "Cette  reconnaissance lucide du caractère blessant de notre monde, du caractère inévitable des relations de pouvoir, n'empêche pas toutefois, de chercher à les changer ". Pour l'auteur “ C’est donc l’homme lui-même qui doit porter la responsabilité première du changement ".

L’intérêt de l'analyse stratégique de Crozier est l’interprétation du comportement humain comme l’expression d’une stratégie dans un jeu, dans un ensemble de contraintes à découvrir, parce que selon Crozier aucun acteur n’est sans possibilité de manœuvre, sans marge de liberté. Cela permet de partir du vécu des acteurs pour construire non pas la mobilité sociale générale, mais la logique et les propriétés particulières de sa régulation, c’est-à-dire l'organisation de la situation en termes d’action, d’enjeux, d’intérêt, de jeux et de règles de jeu, en somme de stratégies qui donnent sens et cohérence à ce vécu.

L'approche de François Dubet.

Dans ses deux ouvrages La galère : jeunes en survie et Sociologie de l’expérience, ici les plus significatifs, l’auteur met en avant la notion de la naissance d’un acteur dans les situations de galère et de racisme. Le choix de ces deux exemples présente ce qui distingue les jeunes issus de l’immigration des “ jeunes Français de souche ”, est moins leur condition que le racisme subi, la ségrégation et l’expérience de la galère. Pour l'auteur, la galère, une des manières de vivre dans les milieux populaires, “ possède les capacités de renversement et de formation d’un acteur ”. Également dans la sociologie de l’expérience, Dubet démontre à travers le prisme des jeunes issus de l’immigration, que le rôle du racisme est important parmi ces populations, dans la mesure où il produit des individus acteurs qui s’affirment et développent une capacité d’action. Autrement dit "dans la mesure où  il apparaît (le racisme) comme une négation de la personne, il provoque une résistance plus forte du sujet qui s’affirme comme un individu et comme un être humain, dont la défense de la face se fait plus vive, éventuellement plus agressive, surtout dans une société comme la nôtre, qui mêle les attitudes racistes à leur recommandation idéologique et morale sans faille.  L’appel à la personnalité et à l’individu est alors plus affirmé. Le racisme donne un sens à la rage et recompose l’expérience sociale en stimulant une logique du sujet qui s’impose aux autres composantes de l’action et la transforme ”·. Cette approche est intéressante parce qu’elle met en avant les jeunes noirs en tant qu’acteurs. Une dimension adoptée pour aborder le phénomène de mobilité sociale intergénérationnelle ascendante des jeunes noirs diplômés.

L’approche de la sociologie de l’expérience sociale est une pratique de la sociologie et “ ne peut être qu’une sociologie de l’acteur ”. En ce sens qu’elle permet d’aborder notamment les problèmes de l’école, du travail, des stratégies de mobilité sociale parce qu’elle permet aux individus de construire leur propre expérience. Dubet intéressé par la sociologie de l’expérience sociale dit “ qu’elle étudie des représentations, des émotions, des conduites et les manières dont les acteurs en rendent compte. Elle est une sociologie de la subjectivité dont les objets pratiques, donnés par les catégories sociales banales, ont toutes leurs chances d’apparaître comme des problèmes sociaux, des expériences dans lesquelles les conduites ne correspondent pas aux attentes et aux rôles attribués, dans lesquelles la subjectivité ne renvoie pas aux modèles des attitudes et des représentations proposées. Les problèmes sociaux portent les failles particulièrement visibles de l’expérience sociale ". Ce projet peut se rapproche de la psychologie et peut justifier l'utilisation les travaux sur la réussite sociale d’Alain Girard ou de Leboyer.

Une des limites de la sociologie de l’expérience est que les cadres de l’expérience se brisent, de manière générale face à la domination, associée à l’exclusion. Le système reste tout puissant. En cela que Dubet rejoint Crozier. Pour conclure, avec les approches de Crozier et de Dubet, nous appréhendons la mobilité à partir de l’expérience de l’acteur individuel, un des angles sur laquelle nous voulons insister. Nous insistons aussi sur la croyance en la réussite personnelle (= achivement) pour certains acteurs, plus qu’à l’hérédité sociale (= ascription). C’est la tendance d’un universalisme grandissant, se traduisant par la supériorité de la réussite personnelle sur l'hérédité sociale. Une conception permettant d'expliquer les stratégies des individus, parce que cette croyance peut provenir du fait qu'ils sont issus de milieu populaire. Une croyance qui témoigne de la supériorité de “ l’American Creed ”, une problématique traitée par Jencks aux USA et Boudon en France. Boudon à travers cette notion soulève la problématique de l’inégalité des chances et il avance l’importance à accorder à la variable “ formation et investissement en capital humain”, aux thèses du conditionnement et aux concepts méritocratiques. Même si la structure des diplômes n’est pas forcément “ congruente ” avec celle des postes offerts sur le marché du travail (selon le paradoxe d’Anderson) à cause du déclin de la société industrielle.

Pourquoi la référence l'American Creed ? Parce qu'elle valorise la réussite individuelle et nous avons soutenu que théoriquement pour les noirs en France la réussite est plus individuelle que collective. Pour certains auteurs de la sociologie classique, le déclin de la société industrielle a engendré le déclin de la conscience de classe sociale et fait que les représentations ont évolué. La critique faite à l'attention de l'individualisme moderne (cf. Boudon) est qu'il n'a pas permis à l’individu d’intérioriser les normes qui le rendent autonome. D'ailleurs comment lier l’activité autonome des individus et la cohérence du système ? Selon Bourdieu, la pratique incarne la réalisation d’un habitus, qui est à la fois une programmation et une stratégie. Dans les champs organisant les rapports sociaux, les stratégies sont programmées et incluses dans l’habitus. L’acteur est si fortement identifié au système que l’habitus apparaît être à la fois une cause et une conséquence.

Quelques éléments sur la mobilité sociale en France.

En France, les études de la mobilité se classent en deux catégories : les enquêtes empiriques faites par l’INSEE et l’INED (institut d’études statistiques) et les théories sociologiques. Il est d’usage de découper la société en six catégories : les agriculteurs, les indépendants, les cadres, les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers. Mesurer la mobilité signifie compter les personnes à l’âge où leur situation sociale peut être considérée comme acquise et voir s’ils occupent ou pas la même position que leur père. Traditionnellement on ne s’intéresse qu’au fils, désormais on prend en compte l’étude des femmes, mais on sépare toujours les deux.


Photo © B.Lhoumeau

"L’ascension sociale est une valeur propre aux sociétés modernes. Au-delà des mythes, les faits montrent que la mobilité est en France aujourd’hui une réalité massive. Mais les choix offerts obéissent aussi à de fortes contraintes. Et les satisfactions attendues ne sont pas toujours au rendez-vous ". Cette citation montre la prise en compte de la mobilité sociale, phénomène oublié en France pendant une période. En France, l’évolution de la mobilité sociale apparaît à travers 3 tendances. La première s’articule autour de la prédominance de l’hérédité sociale qui demeure une donnée importante pour tous les groupes sociaux. Cela se voit avec la priorité des recrutements au sein de sa propre catégorie socioprofessionnelle. Les individus recrutent avant tout leurs propres enfants. Ce qu'on nomme familièrement le “ piston ”. D’où l’importance d’avoir un réseau relationnel professionnel à cause d'un fort corporatisme, plus visible chez les cadres qui assurent le devenir de leurs enfants et maintiennent ainsi leur capital social et culturel pour aller dans le sens de Bourdieu. Même si les changements de positions sociales sont plus fréquents en France aujourd'hui qu'hier, les fils de cadres sont souvent cadres eux-mêmes et les fils d’ouvriers, ouvriers. La deuxième tendance montre qu'il y a eu des déplacements sur l’échelle sociale, mais ce sont des trajectoires courtes parce qu’il faut du temps “ deux ou trois générations pour parcourir le chemin qui mène des catégories ouvrières aux catégories supérieures ”. En termes de PCS, les employés sont les plus mobiles. La troisième tendance montre que les flux de mobilité sont majoritairement ascendants. Aujourd’hui la modification de la structure professionnelle offre davantage de place dans les catégories sociales moyennes ou élevées. Parce que les immigrants, en occupant les places les plus basses dans la hiérarchie sociale ont permis aux Français d’origine d’accéder à des plus hautes fonctions.

En France, il y a moins d’agriculteurs et plus de cadres. Dans l’ensemble les Français connaissent une certaine mobilité sociale. Ce changement reflète la transformation de l’économie française, il y a eu un passage du monde rural au monde industriel et enfin au tertiaire. Mais dans quelle mesure un individu est-il lié à son origine ?

L’étude de Dominique Goux et Eric Maurin sur la mobilité en France aujourd’hui, met en évidence que plus de la moitié des hommes ont quitté leur milieu d’origine. Par exemple l’évolution générale de la mobilité montre que “ un tiers des Français de 40 à 59 ans occupe la même position que leur père sur l’échiquier social. Ce sont des cadres fils de cadres ou des ouvriers fils d’ouvriers. Les deux tiers restant ont changé de catégorie ”·. D’après ces chiffres, un fils peut échapper à son milieu. Cependant il faut nuancer ce fait et se garder de croire que la mobilité sociale ascendante est considérable parce que pour apprécier “ ces données il faut se mettre dans l’hypothèse d’une société idéalement fluide, celle où la situation des fils aurait été complètement indépendante de leur milieu ”.

Dans ce cas, moins d’un actif sur cinq se trouverait dans la même catégorie que son père ”, traduisant alors la présence encore importante de l’hérédité des statuts sociaux. Les études de la mobilité prennent plus en considération les filles, ignorées jusqu’alors. Les calculs étaient faits uniquement par rapport aux pères, à cause de la faible participation des femmes au marché du travail. Désormais le fait que les femmes en France soient davantage actives autorise l'étude de leur mobilité. Les résultats d’études des cas des femmes montrent que leur mobilité aujourd’hui est plus forte que chez les hommes, toute proportion gardée.

Le recours aux immigrés, venus occuper des emplois dans l’industrie et les positions sociales les moins enviables, crée les conditions d’une mobilité sociale accrue pour le “ français de souche ”, dès lors que “ se libèrent ou se créent par ailleurs des positions plus élevées ”. Dominique Merllié, chercheur au centre de l’éducation et de la culture, souligne ce fait en disant : “ il est historiquement vérifié que des évènements liés à des migrations importantes comme les guerres, favorisent la mobilité sociale (…) il n’est pas surprenant que les pays de forte immigration soient aussi des pays où la mobilité sociale est importante, le risque de déchéance est minimisé, l’immigration comble le vide de professions subalternes ". C’est le cas de la France. La mobilité des immigrés est parfois difficile à évaluer parce que des migrants, connaissant une position sociale faible en France, pouvaient occuper dans leurs pays une position plus enviée. Dans “ le passage d’un pays pauvre vers un autre plus riche, la position de l’expatrié peut être, à l’arrivée, relativement plus basse (que celle) qu’il occupait dans son pays d’origine ".

Pour les immigrés africains, leur mobilité en France reste sur le même modèle que les ouvriers, parce qu’ils restent encore fortement concentrés dans cette catégorie. Cependant, une légère mobilité de ces migrants vers la catégorie des employés est perceptible, davantage visible chez les femmes qui occupent majoritairement des places d’employées que d’ouvrières. Elles restent limitées à des emplois de femmes de service, autrement dit le “ nettoyage ”. Quant à leurs enfants, ils ont des emplois relativement différents de leurs parents, mais les difficultés rencontrées dans le milieu scolaire et dans le domaine de l’emploi freinent leur ascension sociale. L’égalisation des niveaux d’éducation n’enlève pas le facteur de sur-chomâge qui ne saurait être imputé seulement à des défauts de formation. Comme le souligne Mouna Viprey, dans l’encadrement des entreprises françaises, “ le plafond de verre ” bloquant l’ascension sociale des personnes issues de l’immigration est particulièrement visible. Selon elle, “ la répartition des cadres immigrés se révèle très spécifique : ils sont plus présents dans les services que dans l’industrie ”. Ils sont légèrement sur-représentés dans les professions de l’information, des arts et des spectacles et le taux de chômage des cadres immigrés est 2 fois plus élevé que celui de la moyenne de la population active nationale.

Revues

  • Contours et caractères : Les immigrés en France, Insee, 1997.
  • D. Merllie, Mobilité sociale : pièges et paradoxes d’une notion savante, sciences humaines no45, déc.1994.
  • A. Weinberg &. journet, A la recherche de la mobilité, sciences humaines, no45, déc.1994.
  • z. Zeroulou, La réussite scolaire des enfants d'immigrés, Revue Française de Sociologie, XXI, no3, 1998.

Lexique.

Acteur : l’acteur est celui qui agit. Ce peut être un individu, un groupe ou même une institution auquel un rôle est assigné.

Égalité de chance : il y a égalité des chances si la probabilité de réussite scolaire, professionnelle, sociale, des membres d’un groupe social n’est pas influencée par leur origine sociale.

Expérience sociale selon Dubet : l’expérience sociale est une façon de construire le monde. Une activité cognitive, une manière de construire le réel et surtout de le vérifier et de l’expérimenter.

Groupe sociale minoritaire : ensemble de personnes ayant des caractères, des relations et des sentiments communs perçus comme différents de ceux du groupe dominant.

Immigration : processus de mobilité spatiale.

Individualisme méthodologique : principe selon lequel les phénomènes sociaux sont la conséquence (volontaire ou non) des actions individuelles qui se combinent entre elles (effet d’agrégation). Il faut partir de l’analyse de ces actions individuelles pour comprendre le social (c’est pourquoi l’individualisme est dit “ méthodologique ”). R. Boudon, le principal représentant en France de l’individualisme méthodologique, souligne que l’individu peut “ parfois ” être un groupe ou une institution qui interfère comme unité d’action autonome.

Mobilité sociale : passage d’un individu (mobilité individuelle) ou d’un groupe d’individus (mobilité collective) d’un groupe social à un autre. Elle peut être verticale ou horizontale.

Mobilité sociale intergénérationnelle : désigne le changement de statut social des individus de la génération des enfants par rapport aux individus de la génération des parents.

Mobilité sociale intragénérationnelle : désigne la mobilité au cours d’une vie pour les individus d’une génération donnée.

Mobilité structurelle : mobilité sociale liée aux changements structurels : exode rural, disparition de certains métiers, désindustrialisation, tertiarisation, qualifications…

Mobilité verticale : déplacement d’un individu dans la hiérarchie sociale, elle peut être ascendante ou descendante. L’ascendante implique le passage à une autre catégorie sociale considérée comme supérieure. La descendante implique une régression sociale.

Mobilité horizontale : la position sociale d’un individu dans la hiérarchie sociale reste identique mais avec un changement de profession ou d’activité.

Méritocratie : Organisation selon laquelle la sélection des élites, l’accès au sommet de la hiérarchie sociale s’opère en fonction des mérites de chacun. Système dans lequel on considère que le mérite doit seulement être récompensé mais doit être un élément qui fonde la hiérarchie sociale.

Organisation selon Crozier : qualifie d’organisation bureaucratique, toute organisation paralysée dans son activité par un excès de procédures et de règlements. L’individu possède une marge de liberté dans les organisations, en disposant d’une relative capacité à définir ses propres objectifs et ses règles de coopération en l’utilisant pour obtenir du pouvoir dans l’organisation vis-à-vis des autres individus.

Paradoxe d’Anderson : la démocratisation de l’enseignement et le niveau croissant de l’éducation dans les pays développés n’a pas d’effet sur la mobilité sociale ascendante en raison d’un processus de dévalorisation des diplômes.

Table de mobilité sociale : document statistique qui permet de mettre en évidence la mobilité ou l’immobilité sociale intergénérationnelle. La table de destinée permet de savoir ce que sont devenus les fils ou filles appartenant à une catégorie X. La table d’origine ou de recrutement permet de savoir d’où sont issues les personnes qui aujourd’hui appartiennent à la catégorie X (à laquelle appartenaient leurs pères ou mères.


Bibliographie.

1 Intitulé : " Essai d’analyse du phénomène de mobilité sociale intergénérationnelle ascendante : le cas de la jeunesse noire diplômée de Paris".

2 AchilleWeinberg et Nicolas Journet, "À la recherche de la mobilité, sciences humaines", no45, déc. 1994.

4 Dans le sens de l'hérédité sociale.

5 Profession et Catégorie Sociale, nouvelle nomination pour CSP.

6 Alain Girard, La réussite sociale, Presses universitaires de France, 1967. Il a fait une grande enquête nationale sur cette question.

7 Point de vue d’Alfred Sauvy, tiré de l’article, "Mobilité sociale : pièges et paradoxes d’une notion savante ", D. Merllié, sciences humaines n°45, déc. 1994.

8 À la recherche de la Mobilité, op. cit.

9 F. Dubet et D. Lapeyronnie, Les quartiers d’exil, Paris.

10 Se rapporter à la Partie sur la mobilité sociale comme effet individuel.

11 Zahia Zeroulou, "La réussite scolaire des enfants d'immigrés ", Revue Française de Sociologie, XXI, no3, 1998.

12Les quartiers d’exil, op.cit.

13 F. de Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Nathan, 1993.

14Sociologie de la famille contemporaine, op.cit.

15 Michel Crozier et Erhard Friedberg, l’acteur et le système, seuil, 1977.

16 Au sens de M. Crozier.

17 F. Dubet, Sociologie de l’expérience, Paris, p.198.

18Sociologie de l’expérience, op. cit.

19 "A la recherche de la mobilité ", op.cit.

20 D. Goux et E. Maurin, "La place en France aujourd’hui ".

21 Dominique Merllié, "Mobilités sociales : pièges et paradoxes ".

22 D. Merllié, op. cit.

Intitulé : " Essai d’analyse du phénomène de mobilité sociale intergénérationnelle ascendante : le cas de la jeunesse noire diplômée de Paris".

Dans le sens de l'hérédité sociale.

Profession et Catégorie Sociale, nouvelle nomination pour CSP.

Alain Girard, La réussite sociale, Presses universitaires de France, 1967. Il a fait une grande enquête nationale sur cette question.

Point de vue d’Alfred Sauvy, tiré de l’article, "Mobilité sociale : pièges et paradoxes d’une notion savante ", D. Merllié, sciences humaines n°45, déc. 1994.

A la recherche de la Mobilité, op. cit.

Se rapporter à la Partie sur la mobilité sociale comme effet individuel.

Zahia Zeroulou, "La réussite scolaire des enfants d'immigrés ", Revue Française de Sociologie, XXI, n°3, 1998.

Les quartiers d’exil, op.cit.

F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Nathan, 1993.

Sociologie de la famille contemporaine, op.cit.

Michel Crozier et Erhard Friedberg, l’acteur et le système, seuil, 1977.

Au sens de M.Crozier.

Sociologie de l’expérience, op. cit.

"A la recherche de la mobilité ", op.cit.

Dominique Merllié, "Mobilités sociales : pièges et paradoxes ".

D. Merllié, op. cit.



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