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ÉCONOMIE, gÉOGRAPHIE, HISTOIRE, SOCIÉTÉ

 


04/07/04 Jean Martin Coly CARTES

Trajectoires et réseaux communautaires des femmes Diolas à Bordeaux

Les femmes Diolas sont venues directement de leur village de Casamance. Elles rencontrent en France des difficultés d’adaptation. Entre autre des problèmes liés à la perte de certains repères culturels, à un isolement qui parfois peut s’avérer être un handicap dans leur intégration, à des problèmes de communication en français dans leurs démarches administratives. Ajouter à cela des difficultés économiques propres aux niveaux d’insertion des maris (travail intérimaire, bas salaire). Ceci ne les empêche pas de jouer le rôle de celles par lesquelles les changements se font, mais aussi de celles qui garantissent la continuité du groupe à travers l’éducation des enfants.

Les femmes africaines en France

La possibilité du regroupement familial pour les populations africaines vivant en France a favorisé l’arrivée des femmes. Elles sont venues pour la plupart rejoindre un homme avec lequel elles étaient déjà mariées ou bien se sont mariées une fois arrivée en France. Leur venue a profondément changé le processus migratoire qui jusqu’alors était une affaire d’hommes seuls. Leur présence et la création d’une cellule familiale orientent les familles dans le sens d’une installation stable et durable.
Ce qui explique l’ambivalence dans laquelle elles se retrouvent souvent, qui consiste à être des garantes de la tradition africaine, tout en étant aux yeux des responsables politiques et de certains organismes d’état celles par lesquelles l’intégration doit se faire.1

Les femmes africaines, du fait de leur venue plus récente, ont contribué à révéler certaines difficultés des conditions de vie et d’installation des populations africaines en France. Elles ont favorisé les rencontres avec les services sociaux dans les communes, avec les équipes d’enseignants, avec les personnels de santé, etc. Cela a occasionné du côté des services administratifs une meilleure connaissance des problèmes que rencontre cette population dans sa démarche d’intégration. D’où le fait qu’elles sont plus impliquées dans les relations avec les administrations et les services municipaux que les hommes. Cette situation les a, de fait mis en position de « personnes relais » entre les organismes d’Etat et les milieux immigrés africains.

Les femmes dans la migration Diola

Une présentation de la situation des femmes Diolas n'est possible qu'en intégrant la multiplicité des situations, mais surtout en prenant en compte les points qui caractérisent leur séjour en France. Elles sont considérées comme femmes, noires, immigrées et Diolas, statuts dont les difficultés se cumulent et varient selon les environnements dans lesquelles elles se trouvent. Par exemple dans le milieu français blanc et face aux administrations, seuls les trois premiers statuts peuvent intervenir, par contre dans les milieux sénégalais et africains, l’appartenance ethnique peut jouer un rôle.
Où se situe la Casamance ?

La Casamance est une des régions du sud du Sénégal. Elle présente des précipitations (1500 mm/an) plus importantes que dans le nord (100 mm/an) et un réseau hydrographique fourni. Le fleuve Casamance traverse la région d'est en ouest sur près de 350 km. En outre, on y observe une végétation luxuriante et une forêt dense. Ce qui ne l'a pas empêché de souffrir autant que les autres régions du Sénégal, de l'incohérence des politiques de gestion des zones rurales.

Comment ces femmes qui pour la plupart d’entre elles sont venues rejoindre leurs maris, sont-elles passées d’une situation ponctuelle de regroupement familial à une intégration dans la société française ?
Etant les garantes des traditions, mais aussi celles qui dans les couples incarnent le plus la modernité, en quoi interviennent-elles dans les changements qui concernent l’adaptation des familles ?

 

Les femmes Diolas à Bordeaux

Contrairement à certaines approches2, nous n’avons pas observé chez les femmes Diolas une part importante d’immigration de main-d’œuvre. Nous sommes en présence d'une situation où la féminisation de la communauté Diola est due au regroupement familial et à la naissance des enfants.

- Les théories de la migration
L’arrivée massive des femmes Diolas à Bordeaux correspond à la date de l’arrêt officiel de l’immigration liée au travail (1974).
De ce point de vue, la migration féminine dépend forcément des caractéristiques de la migration masculine. Cela est possible parce que les hommes à arrivée sont en majorité célibataires, certains, étant déjà mariés. La venue des femmes au titre d’épouses dans le cadre du regroupement familial dépend à ce moment là de la capacité des hommes mariés à faire venir leurs femmes et aux célibataires de se marier dans le pays d’origine et ensuite de faire venir leur femme. Ce phénomène de regroupement suit un décalage perpétuel qui a pour conséquence qu’une immigration d’hommes déjà mariés à plus de chances d’induire une arrivée de femmes. De ce point de vue, l’immigration des femmes Diolas ne correspond pas totalement aux flux d’entrée des femmes étrangères en France. Elles sont très peu concernées par l’immigration liée au travail. Cette caractéristique est importante, elle permet d’analyser les mobilisations en œuvre dans les trajectoires matrimoniales et communautaires.

La présence des femmes Diolas à Bordeaux est due à une dégradation des conditions économiques du Sénégal et ses répercussions sur les choix matrimoniaux de ces dernières. Cette thèse concerne aussi d’autres femmes africaines3, à savoir que le déplacement des femmes s’explique par l’attraction qu’exerce le pays d’arrivée et la répulsion progressive qu’elles éprouvent vis à vis de l’espace de départ. Le déplacement des femmes Diolas vers la ville de Bordeaux tient aussi à un déséquilibre qui prend en compte le fait qu’un travailleur Diola installé en France est aussi perçu à travers la possibilité de mobilité sociale qu’il offre. De ce fait, le mariage constitue pour ces femmes un accès possible à la migration internationale, il offre la possibilité d’ascension sociale quand on compare les niveaux de vie entre les deux pays. Le mariage et son prolongement en France constituent une des formes de pouvoir dans les milieux familiaux et villageois, dans la mesure où la femme Diola du fait de sa présence en France, se retrouve en situation de soutien vis à vis de sa famille. Ce qui lui accorde un nouveau statut dans les différents cercles qui ont influencé sa migration.

- Une présence urbaine
Contrairement à ce qu’elles ont connu en Casamance, les femmes Diolas se sédentarisent en France en milieu urbain. Elles passent ainsi d’une époque où l’activité agricole dominait les modes de structuration, à une époque où la ville, les relations urbaines deviennent leur quotidien. Il faut dire que cette problématique n’est pas nouvelle chez elles.

De façon saisonnière au Sénégal, des filles Diolas et Sérères (ethnie du Sénégal) viennent travailler à Dakar comme employées de maison durant la saison sèche (six à huit mois), puis retournent au village durant la saison des pluies (quatre mois) pour participer aux tâches agricoles et aider leurs familles.

Un certain nombre de femmes Diolas rencontrées se sont retrouvées dans ce processus de migrations saisonnières liées au travail. Cette migration saisonnière interne au Sénégal se fait sur des motivations similaires de celles qui ont poussé les Diolas à venir en France.
En allant travailler à Dakar, les femmes Diolas parviennent à épargner ce qui leur sert de moyen de soutien à la famille pour faire face aux dépenses médicales, vestimentaires, scolaires et alimentaires. Elles se retrouvent assez rapidement dans la position d’individus devant faire face à plusieurs situations complexes. Elles doivent affirmer leur ruralité en participant durant toute la saison des pluies aux tâches agricoles au village, ce qui permet à la famille de remplir le grenier et d’avoir des réserves. Elles doivent aussi s’intégrer en milieu urbain, y gagner de l’argent et en rapporter pour faire face à certaines situations difficiles. Finalement leur vie se partage entre attachement à une région d’origine et l’investissement de la capitale, ville ou elles arrivent à gagner leur vie.

Cette étape est pour elles celle d’une première expérience professionnelle. Les migrations saisonnières sont un phénomène qui concerne tous les pays de l’Afrique de l’Ouest et elles s’inscrivent dans un processus de changements socio-économiques et politiques dont l’importance se mesure par l’ampleur de la croissance urbaine.

Ce vécu en milieu urbain depuis le pays de départ est important dans la mesure où en situation migratoire elles ont mobilisé des éléments d’intégration en milieu urbain qu’elles possédaient déjà afin de faciliter leur inclusion à la vie à Bordeaux. Nous avons affaire à des individus qui témoignent d’un certain niveau de connaissance de la vie en milieu urbain. En France, elles sont confrontées, en plus de la sédentarisation dans une nouvelle ville, au fait qu’elles se retrouvent en situation d’étrangères et de groupe minoritaire. Elles font ainsi l’expérience d’individus immergés dans un nouvel espace culturel, espace au sein duquel elles doivent s’affirmer rapidement étant dans de nouveaux rôles de femmes.

Autre élément important de leur démarche d’adaptation en milieu urbain, c’est le passage d’une prédominance d’une activité économique qui concerne de façon primordiale l’agriculture, à une activité économique dans les services. En passant d’un milieu rural vers un milieu urbain, les modes de production changent ce qui introduit de nouvelles habitudes de production. Leur sédentarité urbaine se construit au sein de la Communauté Urbaine de Bordeaux dans les banlieues populaires. Dans ces cités leur adaptation passe par une maîtrise assez rapide, en tous les cas si on la compare à celle des hommes Diolas, des réseaux de sociabilité et des questions qui concernent la vie de famille. Elles sont celles qui « décident » de l’installation définitive en France à travers leur investissement dans la vie de famille à travers l’éducation des enfants, la scolarisation, la transmission des mœurs culturelles.

Les femmes Diolas tentent dans le même temps d’affirmer une identité sociale et culturelle qui se démarque des migrantes du Sahel. Pour ce faire, elles acquièrent des biens qui symbolisent le confort moderne et leur insertion.
A l’intérieur des foyers, la réussite est symbolisée par un mobilier composé de salon de cuir, d’un matériel Hi-Fi, d’une télévision, d’un magnétoscope, d’une cuisine bien équipée. Nous avons affaire à des processus d’appropriation du logement comme objectivation matérielle de certaines ressources sociales. Ces dernières favorisent la construction identitaire d’un foyer qui à son tour fournit un fondement pour la formation de réseaux plus larges.4
C’est donc l’identité sociale de ces femmes qui en jeu. Cette identité s’extériorise dans les lieux publics avec le vêtement. Les pratiques vestimentaires visent à affirmer l’appartenance à des catégories sociales et culturelles qui se démarquent des sahéliennes (cas les plus cités, celui des femmes Soninkés). Les femmes Diolas ne dédaignent pas le pagne, les tissus bazin et les tenues africaines. Elles en font un usage qui suit les rythmes du vécu de la communauté Diola à Bordeaux. En semaine, et pour aller travailler, elles s’habillent « à l’européenne » et les week-ends et lors des manifestations communautaires, elles s’habillent « à l’africaine ». Nous sommes en présence d'un double registre vestimentaire qui est mobilisé à des fins identitaires selon une conception de l’approprié et de l’inapproprié. Ces femmes disent que dans certaines situations, l’usage de « tenues africaines » est inapproprié, par contre elles favorisent leurs usages lors des manifestations familiales et ethniques. La coiffure ajoute au vêtement. La profusion des tresses est un signe de richesse (main-d’œuvre coûteuse) et de séduction. Séduction qui prend une signification particulière avec le foulard qui accompagne les tenues africaines et qui joue un registre qui oscille entre montrer la coiffure et cacher la coiffure.

La mobilité des femmes : trajectoires internationales et trajectoires matrimoniales

Le parcours de ces femmes dépend certes de la capacité des hommes à les faire venir en France, mais aussi de leur volonté et des moyens utilisés pour migrer. Leurs trajectoires ne s’analysent pas uniquement en terme de parcours migratoires mais aussi en terme d’évolution de leur situation de femme, de mère et d’épouse.

- Les parcours
La venue des femmes Diolas en France, ne s'inscrit pas uniquement dans un phénomène mécanique lié au regroupement familial.
Elle se déduit aussi de leur volonté à venir rejoindre leur mari, à venir découvrir «ce pays qu’on appelle France ». La présentation de la population féminine Diolas, montre que seules deux d’entre elles sont venues dans le cadre du travail, les autres ayant fait le voyage pour rejoindre un mari. Cette immigration est motivée par leur volonté de venir, de rompre avec l’éloignement dans le couple et de participer au projet migratoire.
Il faut dire que la prévision des hommes qui consistait à croire que l’exil serait bref et fructueux s’est vite vue mise à mal par un travail pénible et peu payé, une demande d’aide de la famille restée au pays de plus en plus importante, une épouse qui se trouve loin et qui nécessite des dépenses, un célibat qui se prolonge et une législation de plus en plus contraignante en matière d’entrée et de séjours des populations étrangères. Elles ont donc joué un rôle dans leur venue, rompant ainsi avec l’éloignement.

Si je suis venue en France, c'est pour rejoindre mon mari qui était ici depuis quelques temps. On a essayé lui ici, moi au Sénégal mais ça ne marchait pas, alors il a tout fait pour que je vienne le rejoindre en France parce que à la fin c'est moi qui forçais pour venir. Je ne pouvais plus vivre comme ça à attendre, dès-fois, il disait qu'il venait et puis il ne venait pas, j'en avais marre. Et puis il y avait toujours des problèmes parce que j'étais chez ma belle-famille.

Le départ devient nécessité dans le temps parce que l’aspiration à venir est forte, elle s’accompagne d’une volonté de rupture avec certaines difficultés propres au statut de femmes mariées dont le mari est absent, et la recherche d’un changement de statut au niveau social.
Le voyage s’est fait en avion entre Dakar et Paris ou Bordeaux, il marque la perte des «habitus »519 anciens et le départ vers l’inconnu et une nouvelle existence.

L’arrivée en France marque une rupture importante dans les modes de vie des femmes. Elles perdent une majeure partie de leur savoir tant l’écart entre un vécu au village ou en ville dans le pays d’origine et l’espace social qu’elles ont intégré est visible. En effet elles quittent un territoire avec ses us et usages qu’elles connaissent bien pour intégrer une autre société qui à défaut d’être totalement inconnue n’est perçue à ce moment là que sous son aspect exotique. Le problème qui se pose à elles en venant en France, c’est la capacité qu’elles ont à se réinventer une place, cela aussi bien au sein du couple de la communauté ethnique et de la communauté nationale.

Du village ou de la ville au H.L.M. de banlieue bordelaise tout change et notamment les repères et l’occupation et la gestion de l’espace. Dans les localités de départ, elles ont vécu dans des espaces ouverts sur l’extérieur ou le passage d’une habitation à une autre se fait sans problème ou les maisons donnent sur l’extérieur (voir l’habitat en Casamance) et dans lesquelles les notions d’espace privé et d’espace public prennent des contours différents de ceux qu’elles rencontrent en France. Ici elles sont confrontées à un espace clos au sein duquel les gestes quotidiens auxquelles elles étaient habituées ne sont plus reproductibles. Elles sont donc confrontées à un style de vie plus impersonnel avec des contacts humains moins fréquents.
 
- Trajectoires matrimoniales
Pour ces femmes Diolas qui ne disposaient pas d’un capital économique et scolaire suffisant pour rejoindre la France, l’union avec un immigré Diola est aussi une solution. Le choix de la trajectoire influe sur le choix du conjoint. Une des difficultés à laquelle elles ont été confrontées, est la distance géographique qui rend difficile toute rencontre régulière avant le mariage et qui devient une fois le mariage célébré une préoccupation dans la mesure où, il faut par la suite rejoindre le mari après une période de vie chez la belle-famille au Sénégal ; L’union avec un Diola devient alors un « mode » de sortie du territoire national, une sortie du système social et culturel dans lequel elles ont grandi.

Le passé de ces femmes qui en sont toutes à leur premier mariage est celui de femmes rurales vivant dans un espace traditionnel où elles sont dans leur socialisation préparées à leur rôle d’épouse et de future mère de famille selon une certaine division du travail. Dans le contexte urbain, cet ordre est remis en cause. Elles apprennent de nouveaux rôles d’épouses, de mère de famille et de femmes actives, de femmes tout court.
Un ensemble de rapports est bouleversé ; le rapport aux hommes, aux enfants, au travail, à l’extérieur et à soi.

Le rapport aux hommes qui pendant un moment se retrouve dans la solitude du regroupement familial rencontre certaines contradictions inhérentes à la place de l’un et de l’autre dans le couple. Les hommes, dans les premiers temps qui suivent l’arrivée de leur femme ont essayé de guider leurs premiers pas en France en décidant de montrer certains aspects, selon qu’ils les jugent intéressant ou pas, à leur femme. Cela engendre un manque d’autonomie des femmes due à la crainte qu’a leur mari de les voir ne pas pouvoir s’en sortir toutes seules ou d’une volonté de vouloir «contrôler » ce qui les arrive. Dans un premier temps et d’après ce qu’elles ont dit, la liste de leur dépendance est longue. Progressivement, elles ont réussit à se saisir de certains mécanismes de la société française. Elles en ont profité pour se libérer et bénéficier de quelques espaces d’autonomie.
Différents aspects sont concernés par leur prise de liberté, la médecine, l’assistance sociale, l’école, la télévision sont des institutions auxquelles elles ont eu un jour à faire face et à partir desquelles elles ont tenté de se redéfinir. La médecine pour tout ce qui concerne les problèmes de santé, les méthodes contraceptives et le rapport à son corps ; l’assistance sociale pour les services sociaux dont elles peuvent avoir affaire en cas de besoins, l’école en ce qui concerne la scolarité des enfants et la télévision comme moyen de socialisation et d’information sur les modes de vie en France. Elles ont au contact de ces institutions progressivement «rétabli » l’écart en matière de maîtrise de la vie en France, ce qui leur donne plus de poids dans les familles.

La venue en France de ces femmes, qui sont devenues mères de famille a permis aux publics africains de concevoir une éducation pour leurs enfants qui tout en favorisant l’assimilation de ces derniers à la culture française, et en même temps une meilleure adaptation pour les parents ; permet à la culture ethnique de continuer à s’exprimer dans les cercles familiaux et associatifs. L’action des femmes est déterminante au niveau éducatif familial, ce qui ressort des observations, c’est l’ambivalence dans laquelle ces mères de famille se retrouvent, elles oscillent entre leur volonté de vouloir transmettre des usages en rapport avec ce qu’elles ont connu et une réalité locale qui quelque fois s’avère à l’opposé de leurs choix. Elles ne nous ont pas paru dans leur majorité contre les valeurs éducatives qu’elles ont rencontrées en France, les propos qu’elles ont tenus s’inscrivent dans le sens d’un syncrétisme entre des valeurs Diolas qu’elles tiennent à transmettre à leurs enfants parce qu’elles veulent qu’ils connaissent leurs origines, et des valeurs locales auxquelles elles restent réceptives et favorables.

Pour nous, je suis d'accord parce qu'on a grandi là-bas, on connaît ces choses là, tu sais ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. Pour les enfants je crois que ça ne marche pas. Il faut leur montrer nos coutumes, leur parler Diola, mais c'est eux qui choisissent parce que ici ils grandissent comme les autres à l'école, il y a la télévision. Nous on fait notre devoir, mais on ne sait pas si ça va marcher.

La navigation entre les deux systèmes de valeur s’avère quelque fois complexe, surtout au fur et à mesure que les enfants grandissent et qu’ils s’imprègnent de cette société. Elles sont celles qui transmettent les traditions, ce qui les implique davantage que les hommes dans l’éducation. Cela s’explique aussi par une disponibilité au niveau temps de travail qui leur donne plus de temps à passer à la maison avec les enfants que les hommes.

Dans la migration à travers l'éducation familiale, ces femmes Diolas expérimentent un certain nombre de rupture qui signifient pour elles ; voir les enfants grandir sous des cieux différents d'elles et selon des modalités éducatives dont elles ne saisissent pas toujours les raisons. Ce qui veut dire qu'en même temps qu'elles doivent se battre pour une meilleure intégration sociale et culturelle, elles sont confrontées au fait de définir un cadre éducatif dans les foyers familiaux qui ne soit pas très éloigné des valeurs d'origine, ni trop loin de celles du pays d'accueil. A travers cette ambivalence, ce qui se joue, c'est la cohérence du modèle familial dans un espace national et la perte du cadre relié au modèle ethnique. Ce qui jusqu'alors n'était que certitudes et reproduction des acquis dans un cadre évolutif local se transforme en doute et en questionnement dans un environnement qui désormais détermine de façon durable la tendance éducative de leurs enfants.

La dynamique des trajectoires et la capacité qu’ont les femmes Diolas à gérer l’espace géopolitique, social et culturel à des fins personnels et familiales demeurent remarquables. Les logiques migratoires à l’œuvre influencent considérablement le déroulement du séjour en France, dont l’attitude face à l’emploi.

L’emploi, une inclusion commune

Le rapport à l’espace et à l’emploi est le résultat du projet migratoire initial, à savoir, acquérir les moyens de la réussite sociale et économique par une insertion en France et une vie de famille « épanouie ». Pour cela, les femmes Diolas se sont données les moyens d’atteindre leurs objectifs à travers des stratégies de solidarité féminine et communautaire.

- Les « réseaux » du travail
Le rapport au travail est une question centrale dans la vie de ces femmes. En intégrant le marché du travail, elles ont fait un pas important vers le gain d’une plus grande autonomie et vers le fait, d’avoir des gains personnels qui leur permettent à leur tour d’avoir un rôle de solidarité envers leur pays. L’accès au travail implique une prise en charge supplémentaire. Elles ont ainsi eu à gérer des horaires de travail, à se déplacer, et à collaborer avec d’autres individus dans le cadre du travail d’entreprise. Cette gestion de différents secteurs en rapport avec la vie active les installe dans le processus d’intégration et d’autonomisation. L’activité salariale les oblige à penser un peu plus à elles, à intégrer différents espaces de socialisation, et surtout à se retrouver dans des situations de mixité culturelle qui les confrontent avec d’autres femmes et hommes immigrés comme elles ou autochtones. Le gain d’autonomie est aussi financier.

Au niveau des femmes, l'accès au travail a été essentiellement organisé autour des contacts individuels. Elles ont comme les hommes fait jouer des relations de proximité et les liens de solidarité pour faciliter l'embauche d'une compatriote nouvellement arrivée, mais à la différence de ces derniers il n'y a pas de passage par une boîte d'intérim. De ce point de vue, elles ont apporté une touche distincte dans le processus d'insertion.

A Bordeaux les femmes m'ont proposée à gauche et à droite pour des remplacements dans les sociétés où elles sont, donc j'ai commencé comme ça par des remplacements. Ensuite dans une société où travaille une cousine, ils cherchaient des gens, j'avais déjà travaillé pour eux, le chef a vu que je travaillais bien, alors il m'a proposé. C'est bien, seulement on ne le fait pas beaucoup d'heures, des fois cinq, des fois six.

Les témoignages se situent dans ce sens, ils montrent l'organisation de la solidarité des femmes Diolas dans l'accompagnement à l'accès au travail. Il s'agit en fait d'une forme de solidarité mécanique qui quand on l'observe de plus près peut faire croire à une forme d'organisation collective dans la mesure ou presque toutes tiennent des propos similaires. L'addition de situations du même ordre révèle en fait différents cas individuels où les personnes en présence n'ont fait que reproduire ce qu'elles ont déjà vécu sans pour autant être dans une démarche de type organisationnelle. Dans leur capacité à s'entraider, les femmes Diolas ont intégré le marché du travail à travers des solidarités multiples qui expliquent les niveaux d'insertion.

Elles ont pris des initiatives que ce soit dans la participation au budget du foyer ou en termes d’aide matérielle apportée à des membres de leurs familles. A partir de là, elles sont rentrées dans la composition de la population Diola qui vit en France et qui soutien les "frères et sœurs" qui sont au pays. Elles gagnent en notoriété et investissent un secteur qui autrefois était une affaire d’hommes. En s’individualisant, ces femmes peuvent intervenir de plus en plus dans les rapports familiaux et dans l’entourage de la famille.

Avec elles, les rencontres de voisinage et de quartier s’organisent principalement à partir des enfants et des échanges divers avec d’autres femmes. Elles sont les membres de la communauté qui établissent les premières rencontres liées à la curiosité et à la découverte mutuelle que des personnes confrontées à la différence expriment.
Cette prise en charge progressive de leur destin dans les différentes phases inhérentes à leur intégration, traduit un processus d’acculturation qui au fur et à mesure trace les contours de l’identité de la femme Diola qui se définit dans l’exil. Elles font preuve de certaines qualités dans leur démarche d’intégration des normes et valeurs en vigueur dans la société d’accueil. Cela, elles ne le font pas en rejetant ce qui fait d’elles des Diolas, au contraire, elles tentent de trouver un équilibre qui permet aux différentes identités en présence de s’exprimer selon les situations.

- Le nettoyage industriel comme unique expérience
Le nettoyage industriel est l’affaire des femmes, il les concerne toutes et constitue le niveau d’insertion privilégié de ces dernières.

En France, il devient travail à part entière effectué par des «spécialistes » à partir du moment ou il est décidé au sein des entreprises que cette tâche qui revenait aux apprentis et à certains salariés (les manutentionnaires la plupart du temps) serait effectuée par d’autres et ceci pour des raisons de séparation des fonctions. Ce qui le caractérise, c’est l’absence de qualification et le temps partiel. En effet, les personnes qui s’insèrent à ce niveau, n’ont pas besoin d’une qualification particulière pour se faire embaucher, elles sont appréciées à la bravoure et à l’investissement qu’elles manifestent dans la réalisation de leur tâche. Autre particularité de ce secteur, le temps partiel et la multiplicité des lieux de travail. Il peut arriver qu’en fonction des horaires, une même personne intervienne dans des endroits différents.

Lors des discussions avec les femmes Diolas, nous avons appris que le service de nettoyage se faisait soit tôt le matin avant l’ouverture des services, soit tard le soir après la fermeture des bureaux. Elles se retrouvent ainsi dans des créneaux horaires qui marquent le début et la fin du jour. L’organisation de ce temps partiel, fait qu’il leur est difficile voir impossible d’avoir des journées de huit heures de travail. Rares sont celles qui arrivent à travailler plus de sept heures dans la même journée. Nous avons rencontré une majorité de personnes qui effectuaient entre cinq et six heures de travail. Les personnes qui se sont entretenues avec nous sont employées dans des «sociétés », (comme elles les appellent), qui sont spécialisées dans le nettoyage industriel. Elles travaillent toutes selon le principe du temps partiel et semblent s’accommoder des horaires difficiles particulièrement pour des mères de famille.

Dans l’ensemble, elles trouvent le travail pénible. Il nécessite de se lever très tôt et de rentrer tard, donc très peu de place dans la semaine pour se consacrer à la vie de famille et pour s’occuper des enfants. Dans la journée elles fonctionnent de façon décalée ; partie très tôt, elles reviennent à la maison quand personne n’y est (le mari au travail ou entrain de se reposer, et les enfants à l’école), en fin d’après-midi, justement lorsque les enfants reviennent à la maison, c’est à ce moment là qu’il leur faut de nouveau « embaucher ». Entre temps, elles doivent dans leurs foyers respectifs, s’occuper à faire les tâches ménagères.

Le travail est jugé dégradant parce que c’est du ménage, mais aussi parce que très vite ces femmes se rendent comptent qu’elles sont dans des secteurs ou les femmes immigrées sont fortement représentées. Le fait de se retrouver entre étrangères d’origine prouve la marginalisation et la non-attractivité de ce travail. Elles font ainsi l’expérience d’une marginalisation qui se retrouve à trois niveaux : Elles sont femmes noires, immigrés et sans formation. Face à tant de difficultés, nous avons constaté qu’elles font preuve de courage et surtout de dérision lorsqu’elles se retrouvent entre elles. Nos observations ont montré qu’elles plaisantent sur les tâches qu’elles font s’accusant mutuellement de «faire du ménage en France ». Elles font ainsi preuve d’une certaine distance vis à vis de leur travail et d’une capacité à surmonter les frustrations, à les gérer et à les tourner en dérision. Cette démarche est une prise de conscience. Elle marque la rupture avec l’attente illusoire sur laquelle beaucoup avaient fondé leur venue en France, et une prise en compte d’une réalité qu’elles auront à affronter durant tout leur séjour.

Nous disions que les femmes immigrées sont fortement représentées dans les emplois de ménage, cela parce que les nationaux ont délaissé ce secteur peu valorisant et pénible et que les immigrées une fois insérées n’ont pas manqué de faire preuve de solidarité les unes envers les autres.

Nous assistons à une démarche similaire à celle observée chez les hommes. Les réseaux de proximité jouent un grand rôle dans l’embauche de la plupart. C’est toujours une amie ou une parente qui peut déclencher le processus d’insertion. Là aussi elles s’appuient sur le réseau des proches ; et font jouer la solidarité interne. Il y a avec la complicité des employeurs un système de cooptation qui se met en place et qui permet aux nouvelles ou à celles qui cherchent du travail de bénéficier d’un réseau de relations de travail assez intéressant dans ce secteur.

Elles sont conscientes du fait que ce revenu qui intervient en complément de celui du mari contribue grandement à l’équilibre financier du foyer. L’entrée dans le salariat fait que les femmes occupent progressivement une place prépondérante dans les ménages, au-delà d’un simple apport d’argent, c’est une plus grande place dans les décisions qui est revendiquée.
Cette entrée des femmes sur le marché du travail leur offre plus d’autonomie, elle leur permet surtout de prendre une part importante dans la contribution des ménages. Leur participation (financière) est d’autant plus importante qu’aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un homme se retrouve au chômage pour des raisons diverses. Elles s’engagent dans l’habillement des enfants, la nourriture, l’achat de mobilier et d’appareils électroménagers (machine à laver, aspirateur, etc.). Leur engagement est plus volontiers parce qu’elles sont dans des couples monogamiques, donc investissent le foyer avec plus d’appropriation. Cela se traduit hors du foyer par une autonomie financière qui facilite leur intégration. C’est ainsi que nous avons observé un phénomène récent : de nombreuses femmes Diolas se mettent à passer le permis de conduire à leurs propres frais. Elles ont dit que cela leur permet de suppléer le mari dans les démarches qui concernent la famille (les courses, déposer les enfants au sport, etc.) et surtout bénéficier d’une plus grande autonomie en terme de déplacement. Il est même à noter dans certains cas l’achat d’une deuxième voiture dans la famille. Cette nouvelle identité professionnelle fait apparaître des points positifs non négligeables qui ont consolidé l’installation des familles.610

Sédentarisation et inclusion sociale

L’accès au marché du travail décide de l’installation définitive de ces femmes et de leurs familles en France. Nous assistons donc à un processus de sédentarisation. Cet état de fait définit de nouvelles problématiques dans les familles Diolas à Bordeaux ; les femmes sont aux prises à une démarche de modernisation certaine qui se traduit entre autre par une autonomie grandissante.

- Une démarche de modernisation certaine
Les femmes Diolas ne se réduisent en général ni à des individus qui se contentent de reproduire l’ordre établi, ni à des individus guidés par la seule rationalité impersonnelle. Elles combinent le passé et l’avenir, une mémoire culturelle et des projets économiques et professionnels. Cette combinaison n’est possible que parce que leur objectif en tant que sujet, est de se construire comme acteur, d’autogérer leur existence, d’être libre, indépendante, responsable en tant qu’être particulier. Cette volonté des femmes d’individuation définit la subjectivation dont elles font preuve, et celle-ci traduit le désir d’être sujet ; ce qui rend possible la combinaison entre l’instrumentalité et le développement d’une identité nouvelle. Leurs parcours et les comportements observés traduisent une volonté de combiner ce qui est transmis et ce qui est acquis, la rationalité instrumentale et la mémoire culturelle. Elles font le choix d’une position équilibrée difficile à définir et à défendre dans la mesure où elles se situent entre la puissance d’un universalisme destructeur des particularismes inhérents à leur passé culturel, et une tentation de repli culturelle que l’on retrouve dans certains groupes dominés en situation minoritaire.

Progressivement, ces femmes franchissent les étapes qui font d’elles des membres de la société française. Elles se positionnent sur le marché du travail, réduisent progressivement la distance culturelle qui existe entre leur groupe de référence et les membres du groupe majoritaire, s’intègrent aux quartiers où elles sont installées. Tout en conservant ce qui fait leurs spécificités culturelles, les femmes adhèrent avec le temps à un système de valeur et à une culture nationale commune, qui est celle d’une nation moderne. Leur action ressemble à une sorte de passage d’une étape à une autre. Elles oeuvrent dans le sens qui consiste à évoluer de la communauté vers la société. Il s’agit d’un processus de modernisation et d’individualisation.725

Leur expérience est celle d’un processus de modernisation. Elle traduit la déchirure et leur arrachement à des mœurs anciennes pour intégrer un autre monde qui incarne plus l’action et la liberté personnelle. Leur intégration rappelle un processus à la fois destructeur et créateur. Destructeur parce qu’elles s’auto-censurent sur le plan culturel, et créateur, parce qu’il les engage dans une culture moderne occidentale.

D’après Jean Baudrillard :
La modernité n’est ni un concept sociologique, ni un concept politique, ni proprement un concept historique. C’est un mode de civilisation caractéristique, qui s’oppose au mode de la tradition, c’est à dire à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelles : face à la diversité géographique et symbolique de celles-ci, la modernité s’impose comme une, homogène irradiant mondialement à partir de l’Occident. Pourtant elle demeure une notion confuse, qui connote globalement toute une évolution historique et un changement de mentalité.826

L’auteur précise qu’elle n’est pas figée dans ses formes et ses contenus, et ne saurait à ce moment être considérée comme un concept d’analyse parce qu’il n’y a pas de lois de la modernité, mais des traits de la modernité, une logique de la modernité et une idéologie de la modernité. Nous remarquons que dans les moments de rupture et de changement, elle peut exprimer les choix individuels et collectifs dans leur ambiguïté comme une fuite en avant continuelle. Les femmes Diolas se retrouvent aux prises de processus qui joue un rôle déterminant dans leur enracinement en France et qui finalement les installe dans une logique d’enracinement à la vie en France.

Les effets de la modernisation, tout au moins son exportation à travers la colonisation sont à observer. C’est un aspect important de la question dans la mesure où questionner le rapport à la modernité européenne d’une population africaine revient à évoquer les rapports de domination induits par la colonisation. Elle a entraîné des changements et des résistances enfermant quelques-fois des sociétés dans une opposition stérile entre Tradition et Modernité. Les anciens systèmes ont été déstructurés par l’arrivée de nouvelles formes de gestion économique politique et sociale. De ce point de vue, la modernité se présente comme une rupture927 qui déstructure les anciennes pratiques et en impose de nouvelles. Le système traditionnel (tribal, clanique, lignager) a opposé au changement une résistance qui a abouti à des compromis permanents dans l’administration des localités concernées. Pour continuer à se répandre, la modernité a été obligée d’entrée en implication avec la tradition dans un processus subtil et dialectique d’amalgames. Paradoxe de la modernité qui se retrouve enfermée dans un cycle de jeu formel du changement relevant de plus en plus de la culture du quotidien.

C’est dans cette quotidienneté des attitudes et des comportements que les femmes Diolas ont été confrontées à la modernité. Elles ont dans leurs rapports privés et publics pu se confronter à la logique de la résistance et de l’amalgame. Nous ne les situons pas comme des individus qui n’avaient aucun accès à la modernité au Sénégal, bien qu’étant issus de milieux ruraux, elles ont eu lors de leurs déplacements dans la Capitale, mais aussi dans les villages d’origines à utiliser des aspects « techniques » de la modernité.
Dans leur quête de modernité, les femmes soulèvent la question des formes de résistance qui se mettent en place face aux changements qui s’opèrent, et posent le problème des attitudes à adopter au sein d’une civilisation qui s’organise autour de l’individualisme et de la modernité. En cela nous avons affaire à une forme classique d’opposition entre tradition et modernité, la tradition n’étant pas toujours incarnée par ceux que l’on croit, à savoir les populations migrantes parce que dans leur cas, elles sont confrontées à d’autres formes traditionnelles qui s’expriment dans l’espace public, celles liées aux habitudes de vie en France. Cette situation les installe dans la position d’individus confrontés à la rencontre de deux formes de vie devenues traditionnelles pour ceux qu’elle concerne. Du côté du pays de départ, elles ont intégré les mœurs locales, étant celles qui les ont socialisées ; par contre en France elles font l’apprentissage de la vie moderne urbaine à travers les rencontres individuelles, collectives et administratives qui sont autant de résonances et de rappels d’habitudes liées au mode de vie, donc de traditions.
Pour les femmes Diolas, la vie de famille oscille entre traditions et modernité. Tradition quant au maintien d'un certain nombre de valeurs et d'activités propres à leurs origines casamançaises, la volonté de continuer à exister culturellement à travers les enfants étant forte; et modernité par des gestes progressifs d'ouverture à la culture d'accueil à travers tous les mécanismes du processus d'intégration.

Néanmoins à travers nos observations et les propos recueillis, nous pouvons dire que la vie de famille s'organise en semaine autour des activités professionnelles des parents et scolaires des enfants. De ce point de vue, il est aisé de constater qu'elle ressemble à la vie d'une famille ouvrière française, l'immigration étant liée au travail. Ce semble marquer une certaine touche distincte reste l'organisation des week-ends avec un mode de vie proche du style communautaire, des rencontres associatives fréquentes, des manifestations à caractère culturel qui occupent les parents et de plus en plus les enfants. Dans la communauté Diola, les femmes sont celles qui se chargent de mobiliser régulièrement le « noyau dur »1028 ethnique à travers la communication, la danse et l'habillement traditionnel. Leur influence directe est plus manifeste auprès des filles qui sont celles (en nombre) qui ont une meilleure maîtrise du Diola, elles seront aussi celles qui de façon spontanée essayent de mettre le pagne ou d'avoir des tenues africaines ; et cela jusque dans l'apprentissage de la danse traditionnelle Diola : le « Bougnoule ».

Les progrès observés chez les femmes dans leur volonté d’intégration les installent dans la vie moderne. Nous assistons à une accélération des processus d’individuation, ce qui leur permet de réajuster leurs « habitus » à la vie locale. En cela, le groupe ethnique joue un rôle fondamental et positif dans le processus d’intégration puisqu’il permet d’associer le lien entre la communauté et la rationalité d’une adaptation individuelle efficace.
L’ère moderne est marquée par l’émergence de l’individu avec un statut, une conscience autonome, et des intérêts privés. L’individu moderne qu’elles sont devenues se trouve essentiellement orienté vers l’avenir, ce qui fixe le passé dans un temps révolu selon une dialectique qui lui est propre.

Le phénomène décrit chez ces individus est un processus d’acculturation. Il résulte d’une mutation d’une communauté ethnique inscrite dans la logique du progrès et du développement, mais aussi de phénomènes historico-politiques entre le Sénégal et la France qui ont entraîné de façon plus ou moins radicale des changements dans les systèmes d’organisation. En France la femme Diola continue de vivre comme un « prolongement » les différentes ruptures qui rythment sa vie, cela se fait de façon discontinue, l’individu n’étant pas toujours disposé à renoncer à certains fondamentaux qui lui sont propres.

- Une natalité qui « s’adapte »
Un des aspects d’observation de la population féminine étrangère en France, est les taux de natalité observés dans cette population. Lorsque nous prenons le nombre moyen d’enfants par femme, nous constatons qu’il est plus élevé chez les immigrées que chez les Françaises. En 19901129 l’indicateur synthétique de fécondité pour les femmes françaises est de 1,7, il est de 2,8 pour l’ensemble es femmes étrangères et de 4,8 pour les Africaines de l’Ouest vivant en France. Les femmes Diolas appartiennent à cette catégorie Africaines de l’Ouest. Le nombre d’enfants par famille se situe (les concernant) autour de la famille de cinq enfants, chiffre qui se rapproche de la taille des familles observées au Sénégal. Pourquoi parler du nombre d’enfants ? Parce que nous voulons observer dans le temps les influences des pratiques en vigueur dans le pays d’accueil sur les femmes. Elles sont d’origine rurale, milieu au sein duquel la fécondité est traditionnellement plus élevée qu’en ville. En émigrant à Bordeaux, elles s’installent non seulement dans un centre urbain, mais intègre un pays qui les confronte à des habitudes différentes en matière de natalité, d'occupation de l'espace et d'éducation. Ce qui est intéressant à observer, c'est de voir les niveaux de proximité ou d'éloignement quant au modèle initial.1230 Ce qui est aussi en jeu, c'est l'accès à une organisation familiale de type moderne. Les femmes ont dans ce cas précis, décidé de se donner les moyens d'œuvrer dans le sens d'un épanouissement plus harmonieux pour elles et leurs familles.

La différence dans la moyenne du nombre d’enfants par famille n’est pas très éloignée de celle observée dans le pays d’origine, mais nous remarquons et c’est un fait nouveau, que certaines familles se situent entre deux et quatre enfants (cas de vingt-neuf familles). Attitudes qui de ce pont de vue se rapprochent de celles observées en France. Nous avons au-delà de cinq enfants, dix-huit familles, ce qui nous fait dire que la tendance à la réduction de la taille des familles est nette, elle est le fait des femmes qui ont été très vite confrontées aux difficultés et aux statuts de mère de famille et de femme active.

L’absence de la famille élargie joue en faveur d’une régulation. Les tantes, les cousines et les grands-mères n’étant pas là pour aider et soulager la mère de famille après un accouchement. Cette absence les plonge dans une solitude qui accroît en difficultés toutes les situations auxquelles elles sont confrontées ; n’étant pas habituées à vivre ainsi. Ajouter à cela le coût de l’éducation qui est élevé, les besoins étant nombreux les situations entraînant des dépenses régulières. L’habillement propre aux quatre saisons multiplie les occasions de dépenser, il leur faut souvent renouveler les habits et les chaussures. L’école entraîne aussi des dépenses d’argent qui vont des fournitures scolaires à des manifestations organisées dans le sens de l’épanouissement de l’enfant. Ces dépenses sont plus ou moins bien vécues selon la C.S.P. de la famille. Pour les individus appartenant aux milieux populaires, la difficulté apparaît très vite. Surtout quand elles ne veulent pas frustrer leurs enfants en les privant d’activités.

Ces femmes ont connu leur première maternité en France. Le temps et une meilleure information en matière de contraception interviennent en faveur d’une limitation des naissances. A partir du moment où elles prennent conscience des réalités que nous venons d’évoquer, les comportements changent. La naissance d’un enfant devient quelque chose de mieux contrôlé. Entre une réalité objective et le désir de s’intégrer, les femmes Diolas s’organisent lentement dans le sens de la baisse de leur taux de fécondité. Cette question concerne plus les femmes que les hommes, elles sont celles qui s’emparent de ce problème dans le couple. Ce qui, ne se fait pas sans poser un certain nombre de difficultés.
Nos observations ont permis de constater qu’elles développent une plus grande attention à la modernité que les hommes, en cela elles refusent de jouer uniquement le rôle de celles qui incarnent la tradition Diola, elles ont aussi cherché à s’émanciper dans la société d’accueil en naviguant sur les deux positions. En cela elles ont changé les rapports préétablis en apprenant vite et en se libérant de la dépendance du mari.

Cette prise en charge progressive de leur destin, traduit un processus d'acculturation qui au fur et à mesure trace les contours de l'identité de la femme Diola. Elles font preuve d'une réelle capacité d'intégration des normes et valeurs en vigueur dans la société d'accueil. Cela, elles ne le font pas en rejetant ce qui fait d'elles des Diolas, au contraire, elles tentent de trouver un équilibre qui permet aux différentes identités en présence de s'exprimer selon les situations.


 



Màj : 3/10/07 16:40
 
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