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04/07/04 Jean-Martin Coly
04 juillet 2004
CARTES

Jeunes d’origine noire africaine en France : une intégration contrastée

Qui sont-ils ?

Voici une question qui se pose souvent à propos des jeunes noirs d’origine africaine en France, et à laquelle il est difficile d’apporter une réponse précise. Cela n’est pas propre bien sur à l’immigration africaine, mais participe des confusions et des difficultés à les considérer comme une entité clairement repérable dans l’espace national français.

Les jeunes Français d’origine noire africaine ont imposé l’utilisation de la catégorie « Africain » dans le discours politique et social. Cela est dû à la conjonction de trois facteurs : une censure (condamnation) des expressions trop racistes ou racisantes ; une distinction désormais nécessaire entre les migrants originaires d’Afrique noire des Antillais qui eux sont français d’origine ; une affirmation de plus en plus visible des migrants africains en tant qu’acteurs sociaux, individuels et collectifs.

Cependant, la catégorie ethniciste « Africain » reste contiguë de celle raciale de « Noir ». Les jeunes sont le plus souvent amalgamés sous le vocable de « noirs » ou sous des appellations plus récentes ; « blacks », « renois », etc. Ce qui montre bien que nous sommes dans une distinction collective d’ordre ethnico-raciale.

Au-delà de toute distinction et catégorisation, il est important de préciser que ces enfants d’immigrés sont les enfants du prolétariat français recruté pendant les années de prospérité économique, de 1950 à 1970. Dans leur majorité, ils sont nés en France et sont français. Le milieu ouvrier au sein duquel ils ont été socialisés les confronte aujourd’hui de plein fouet avec les bouleversements induits par la mondialisation du libéralisme économique. À ce titre, leurs problèmes d’intégration illustrent les difficultés que vit aujourd’hui l’ensemble des classes populaires.

Constamment renvoyés à leur origine ethnique, à des catégories sociales, professionnelles et culturelles qui ne les concernent pas directement ; ils sont régulièrement confrontés au problème de la ségrégation dans leur accès au marché du travail et au marché du logement. Ce qui nuit grandement à leur volonté de mobilité sociale. 

Cette partie de la jeunesse ouvrière présente de façon générale les caractéristiques sociologiques propres à toutes les « deuxièmes générations ». Elle manifeste un profond désir de reconnaissance, donc, d’intégration  et en même temps, elle exprime publiquement son refus d’une société qui la méprise et qui la marginalise. Cela se traduit quelques fois par des comportements violents qui reflètent à la fois leur intégration dans l’univers local de la cité et le refus d’accepter le sort qui lui est fait.

C’est dans ce cadre d’analyse que nous allons restituer les initiations des jeunes noirs d’origine africaine en tant qu’acteurs sociaux en France.

À titre d’hypothèse, nous considérons que les jeunes noirs d’origine africaine, au-delà de toute influence du contexte social, économique et politique, sont les premiers acteurs de leur intégration.

Jeunes divers, mais une représentation collective

Il nous semble important d’insister sur le fait qu’une approche qui consiste à les repérer selon l’origine nationale de leurs parents nous est tout à fait pertinente dans la mesure où elle fait le lien entre la présence parentale qui relève d’une démarche migratoire et les jeunes (leurs enfants) qui dans la plupart des cas sont nés en France.

Entre des parents immigrés et des jeunes socialisés en France, la question de l’origine nationale permet de comprendre les normes de socialisation et identitaires en vigueur dans les milieux familiaux, mais aussi les appartenances qui se construisent dans leur expérience juvénile. Le pays d’origine devient à ce moment-là l’instance qui construit les logiques d’appartenance collectives à travers la représentation que les jeunes ont de cet espace.

Utiliser l’origine des parents dans l’approche et la considération des jeunes permet de travailler sur des éléments se référant à l’espace africain de départ.

L'immigration parentale

 

Différentes zones sont concernées par les migrations des parents :

« La façade sahélienne » qui correspond aux pays réunis dans le Comité Inter-Etats de lutte contre la sécheresse (CILSS) crée en 1971. On y retrouve : Le Sénégal, la Gambie, la Mauritanie, le Mali, le Burkina-Faso, le Niger, le Tchad auxquels se sont ajoutés le Cap-Vert et la Guinée-Bissau. Cette zone couvre cinq millions de kilomètres carrés et trente-six millions d’habitants. Ces États partagent outre une même religion, l’islam, un héritage historique que l’on retrouve à travers les formations étatiques (Wagadou, Songhay, Kanem Bornou, etc.).
Les migrations en provenance de cette zone sont essentiellement rurales et liées au travail. Aujourd’hui, le cas des réfugiés politiques est important en provenance de pays comme la Mauritanie ou le Tchad. Ces pays de la « façade sahélienne » présentent les taux de présence migratoire les plus importants de la zone Afrique.

« La façade guinéenne ». Ce sont des pays ouverts sur l’océan Atlantique. Il s’agit de la Guinée, de la Sierra Léone, du Libéria, de la Côte-d’Ivoire, du Togo du Bénin, du Nigeria et du Ghana. C’est un espace à la fois minier et agricole de cinquante millions d’habitants faiblement concerné par les migrations liées au travail. Par contre, cette zone est concernée par un nombre important de réfugiés politiques, la plupart des pays étant soit en guerre civile soit dirigés par des juntes militaires.

« L’Afrique australe ». Cette zone couvre le Cameroun, le Gabon, le Congo, la République Démocratique du Congo et la République Centrafricaine. C’est une aire de contact entre christianisme et islam. Elle comprend quelques trente-cinq millions d’habitants. Les migrations qui la concernent s’organisent en deux phases : dans un premier temps (60 – 80) les migrations de travail et « universitaires » étaient dominantes puis à la  suite des conflits au Congo et en République Démocratique du Congo, les réfugiés politiques sont de plus en plus nombreux à chercher à s’installer en France.
« L’Afrique orientale » ; Soudan, Ethiopie, Somalie, Djibouti, Kenya, Ouganda, Burundi, Rwanda, Tanzanie et « l’Afrique australe » sont très peu concernés par les migrations vers la France.

Des origines diverses, une socialisation commune

Les jeunes Français d’origine noire africaine sont originaires des quatre zones géographiques que nous venons de présenter. Ces différents espaces africains permettent non seulement de comprendre les motivations de départ des parents, mais aussi la forme migratoire dominante dans les différents milieux nationaux ; à savoir les raisons du choix de l’installation.

Les jeunes Africains constituent 32% de la population africaine de France, à ce titre, ils constituent un élément important de la stabilisation de la présence africaine en France. D’où leur importance dans la structure démographique.

Ces jeunes sont dans leur grande majorité de nationalité française, à ce titre, ils participent pleinement à la composition de la population française. Ils sont pleinement concernés par les droits et devoirs inhérents à tous citoyens français. Ils sont nés et socialisés en France, imprégnés de l’influence des différentes instances de socialisation qui caractérisent ce pays, à savoir : l’école, les médias, l’éducation familiale, la vie de voisinage, de quartier, les mouvements associatifs, etc.

De façon générale cette éducation se fait en rapport avec l’environnement. Ils ont généralement un parcours identique à tous les jeunes de ce pays. Nous avons affaire à des jeunes Français d’origine africaine. Français de par le lieu de naissance, l’éducation et la socialisation subie, mais d’origine africaine de par la provenance de leurs parents. Ces derniers ont fait le choix de la migration, ils sont venus avec une culture autre et des modes de vie relevant d’un autre environnement social, culturel et politique. L’adaptation et l’intégration à la vie en France concernent surtout ces derniers; démarches qui seront vécues différemment en fonction des milieux d’origine (rural, urbain, migration de travail ou réfugié politique, niveau d’instruction, etc.).

Du fait de la vie de famille, de l’éducation familiale et de la fréquentation de personnes provenant du même pays, ces jeunes sont en interaction avec des éléments culturelles proprement Africains. De ce point de vue, ils relèvent de la culture africaine. Ce qui ressort aussi de l’observation des situations familiales, c’est l’acculturation des parents surtout parmi les personnes provenant de milieu urbain.

Nous avons affaire à une population urbaine, instruite, formée à l’heure du modernisme. Cette dernière dans son passage en France à certains égards ne se trouve pas trop déconnectée. Ceci a été rendu possible par la colonisation française qui est une domination qui a laissé des traces profondes dans l’organisation sociale et économique des pays en question, mais aussi dans le rapport des Africains vis-à-vis de l’extérieur. Les populations anciennement colonisées en s’installant en France ne font que prolonger le mythe de la domination française, s’installant ainsi dans une position de dominés culturellement.

Cette approche prend le contre-pied des explications qui résument toutes les difficultés rencontrées par les Africains par un blocage culturel. Théories selon lesquelles la culture s’imprimerait dans les individus une fois pour toutes au terme d’un processus de socialisation et d’ancrage. Théorie qui fait référence à la « personnalité de base », approche selon laquelle cette dernière serait rebelle à l’influence des autres cultures.

Appliquée à la situation d’immigration la logique culturaliste suppose que tout Africain, dont la première socialisation s’est déroulée en Afrique, est à priori incapable de s’adapter à la culture française ou du moins est prédestiné à éprouver de très grandes difficultés culturelles.

Il faut rappeler que les cultures évoluent, qu’une part importante des codes qui les composent vient de l’assimilation incessante des apports des autres cultures. On ne peut pas présenter des entités culturelles comme étant des éléments rigides. Elles ont eu à bénéficier d’influences multiples. Du côté des ressortissants africains, l’influence française a introduit des traits culturels dont certains se sont vus appropriés par les Africains et adaptés à un environnement spécifique. Nous sommes en présence de situations de transition et non d’homogénéité et de stabilité culturelle.

Entre une certaine acculturation à la France, une culture « Africaine » certaine, une immersion dans un système dominant, nous avons affaire à des situations complexes.

C’est dans ce parcours qu’il faut chercher la particularité de ces jeunes; pas en termes d’une différence de fait, mais plutôt dans le sens du comment tout cela est-il vécu, de quelles situations cela occasionne t-il ? Ce qui nous ramène à la question du sens, du sens de la vie pour ces jeunes.

Une assignation collective

Ces jeunes Français sont concernés par les situations qui touchent les jeunes de leur âge. Ajouter à cela des difficultés qui ont trait au racisme ordinaire, à la discrimination sur le marché de l’emploi et de la formation, à un taux de chômage plus élevé que la moyenne (autour de 22% chez les populations d’origine étrangère). Comme tous les jeunes, ils sont confrontés au mal de vivre, aux questions liées à l’avenir, mais surtout au fait d’être noir dans une société à dominante blanche, et à tout ce que cela peut créer comme conflits.

Ils se disent jeunes, Français, mais perçus comme des noirs, donc des étrangers. Ce qui a pour conséquence d’entraîner certains dans des positions radicales (ils voient du racisme partout et semblent sombrer dans une mini-délinquence) et d’autres dans un découragement alarmant qui consiste à ne même plus avoir envie de se battre. Il est à noter qu’une partie d’entre eux s’insère sans que cela pose de problèmes particuliers.

Les cités (banlieues) sont des endroits où l’on rencontre une population à forte concentration étrangère. Dans le temps, la paupérisation des quartiers, le chômage des adultes, le manque d’activités des jeunes, le manque de perspectives ont fini par faire de ces endroits de véritables poudrières sociales. Nous avons rencontré les jeunes d’origine africaine, en majorité, dans ces cités. Très peu aujourd’hui habitent les centres urbains. Ils sont à nos yeux l’écho de la vie des cités, des situations qu’ils nous décrivent, du mal de vivre qui émerge d’eux. Ils sont donc les témoins privilégiés de la situation des quartiers.

Cette réflexion montre bien que la migration concerne en fait les parents. Ce sont les personnes qui ont migré, qui se sont installées de façon durable et qui sont confrontées directement par la question de l’intégration. Leurs enfants sont des jeunes Français dont le vécu est rattrapé par l’histoire des parents.

A ce titre ce qui marque le plus c’est qu’après une, voire deux générations, l continue à les considérer comme étranger ou d’origine étrangère.  Ils sont dans l’incompréhension, perdus entre une société qui a un discours égalitaire et intégrateur très puissant et une réalité qui se passe autrement. Ici se pose la question du rapport de la société d’accueil aux populations d’origine étrangère, à la construction de l’identité nationale et à la France comme pays pluriel.

L’appellation qui consiste à les considérer comme des « jeunes issus de l’immigration » ne fait que renforcer le préjugé, mais surtout elle établit une assignation en opposition avec leur vécu. Ces jeunes ne sont plus concernés par l’immigration. Ils font partie de la jeunesse française et participent de sa diversité. La question de l’éternel étranger continue de hanter les esprits. Le malaise est à chercher au sein de la population d’accueil dans ses conservatismes et ses blocages; mais aussi au niveau de la population migrante qui dans son rapport à l’ancienne puissance coloniale cultive l’aliénation et la frustration.

Un vécu urbain

Nous avons affaire à une « culture urbaine » ou les jeunes ont complètement intégré les instruments de la modernité (individualisme, consommation, travail). Il s’agit de jeunes urbains qui sont confrontés aux difficultés mais aussi aux joies de la vie en ville et de tout ce que cela induit comme comportements, comme stratégies d’intégration et d’adaptation.

Si l’éducation des enfants de l’immigration africaine emprunte sans doute quelques règles à l’éducation traditionnelle et aux traditions des familles présentes, elle est pour une large part déterminée par des principes et des objectifs qui sont particuliers à la situation migratoire, au niveau d’intégration des parents et à leurs conditions d’existence. À ce propos, l’éducation des enfants présuppose toujours un projet identitaire conscient ou latent qui fixe les références et pose les modèles. C’est à ce titre que la réussite scolaire et par extension professionnelle participe pleinement du projet migratoire des parents.

Une scolarisation au centre de toutes les contradictions

Il est difficile d’isoler une catégorie « enfants de migrants » parce qu’elle recouvre des réalités très différentes : l’âge de leur arrivée en France ou le fait d’y être né, le statut de leur groupe national d’origine, le projet migratoire familial, les questions culturelles qui prennent une importance différente selon les origines urbaines ou rurales, la catégorie socioprofessionnelle des parents, etc. Les situations varient tellement qu’il est difficile de faire une analyse globale.

Quel traitement ?

C’est autour des années 70, avec l’augmentation du nombre d’enfants de parents migrants dans l’école et l’émergence de problèmes spécifiques, que la scolarisation et les conditions d’adaptation sociales et professionnelles de ces enfants ont attiré l’attention des pédagogues, des enseignants et des chercheurs. À cette époque, les travaux de recherche font un constat d’échec dont les causes se situeraient au sein de la sélection scolaire, de prétendus handicaps socioculturels et sur une difficulté au niveau de l’institution scolaire à gérer la différence culturelle de ces derniers ainsi que de tous les publics d’origine migrante.

Face à toutes ces difficultés, l’Education Nationale crée un certain nombre de structures spécifiques censées répondre aux difficultés des enfants de migrants. C’est ainsi que sont créées les classes d’initiation et d’adaptation, un enseignement de soutien pour ceux qui en ont besoin, des cours de langue et de culture censés préparer les enfants au retour des parents dans les pays d’origine.

En 1975, l’Etat crée les Centres de Formation et d’Information pour la Scolarisation des Enfants de Migrants (CEFISEM). Nous assistons donc à une « spécialisation » progressive de l’institution scolaire dans le traitement des difficultés rencontrées par les enfants de migrants. Cela traduit certes une reconnaissance par les pouvoirs publics des difficultés de scolarisation et d’insertion rencontrées par ce public ;, mais contribue à marginaliser un peu plus ces élèves dans la mesure où leur scolarisation reste dominée par la fréquentation des « classes spécifiques » censées combler leur retard.

En fait, ils ne réussiront pas à réintégrer les classes « normales » après leur passage dans les classes d’initiation et d’adaptation, leur âge trop avancé étant souvent un facteur bloquant.

À travers ces réformes scolaires, on retrouve l’ambiguïté du traitement de la question migratoire au sein de l’institution scolaire. Comment traiter la différence dans un système qui se veut égalitaire ? Cette ambiguïté s’ajoute à celle des parents qui demandent à l’école de traiter leurs enfants comme tous les petits Français et en même temps de tenir compte de leurs spécificités culturelles se refusant ainsi à une acculturation trop rapide de leurs enfants.

Ce qui est à déplorer, c’est le fait que les approches sur la scolarisation des enfants de migrants soient plus centrées sur la question de l’immigration sous ses différents aspects plutôt que sur le traitement par l’école de l’hétérogénéité de ses publics comme s’il y avait un lien de causalité entre l’origine immigrée des enfants et l’échec scolaire. Ce que ne dit pas le discours institutionnel, c’est que les enfants de migrants sont un des publics scolaires de l’école avec beaucoup d’autres présentant une grande diversité sur le plan socioculturel.

Cette relation faite entre échec scolaire et origine socioculturelle des enfants de migrants a contribué à la banalisation de la situation scolaire de ces enfants et à une logique sociale qui compromet les projets d’insertion. 

Si l’un des objectifs de l’école est d’aider à la prise de possession de l’avenir, l’introduction de toute incertitude ne peut que perturber les élèves et miner leur système de représentations sociales à l’égard de l’avenir qui devient plus problématique vu la situation socio-économique dans la plupart des familles.

Il est important au sein des milieux de migrants de valoriser l’exemple d’enfants dont la scolarisation se passe bien et le rôle joué par le milieu familial. La réussite scolaire des jeunes est associée à l’expérience de familles au sein desquelles la relation à l’école tient une place prépondérante.

Cela s’organise autour d’une perception de la société française dans son ensemble ; l’environnement global, l’habitat, le monde du travail, l’environnement social et culturel, et la place des milieux immigrés au sein de la société. Cette représentation de la société se fait en fonction de ce qu’il leur est objectivement dévolu et de leur expérience subjective.

La réussite scolaire des enfants passe dans les familles par leur capacité à anticiper l’avenir et à surmonter la précarité propre à la condition d’immigré.

Quelles relations entre les jeunes et l’école ?

La scolarisation des enfants d’africains montre que la majorité des parents africains inscrivent leurs enfants à l’école maternelle, mais ne connaissent pas les objectifs de cette institution et surtout ce qui s’y passe. 

L’école est surtout perçue à travers sa capacité à réaliser une mise à niveau linguistique des enfants. Mais en retour, on craint que l’école ne porte atteinte au patrimoine culturel de la famille. Les familles africaines craignent le passage du pôle affectif et subjectif de la famille vers le pôle des normes de l’école ; elles craignent l’intrusion de l’univers de l’école comme une menace pour l’univers de la famille. Ce qui peut se traduire par une méfiance et une distance vis-à-vis de l’école (que certains auteurs ont vite fait d’établir comme une démission des parents) et une exigence de fidélité de l’enfant africain vis-à-vis de son milieu.

Chez les jeunes d’expression française, nous remarquons qu’une connaissance partielle ou totale de la langue française à l’arrivée des parents ne semble pas affecter négativement leur scolarité. Ce qui semble être une difficulté qui apparaît lors des investigations, c’est le fait que la migration leur a offert de meilleures conditions d’étude, ce qui rend tout échec encore plus incompréhensible par les parents. Ce défi scolaire est forcément un stimulateur important, il induit aussi des attentes trop fortes qui sont à l’origine d’une pression qu’ils ne parviennent pas toujours à transcender.

Cependant il est important de noter qu’au cours de ces dix dernières années, une tendance de type qualitative, à la prise en compte des relations au sein des établissements est entrain d’émerger. De nouvelles grilles de lecture se mettent en place, elles essaient de mieux prendre en compte les effets du quartier, de l’établissement et de la classe. Elles témoignent d’un souci qui consiste à mieux considérer les transformations sociales subies par la société, leurs répercussions dans le milieu scolaire et la façon dont les acteurs en présence vivent ces mutations. 

Ces travaux montrent les contradictions qui existent entre un système scolaire qui nie les particularités culturelles et qui se retranche derrière une approche globalisante et des jeunes élèves d’origine étrangère marqués par une accumulation de situations concrètes les ramenant à leurs appartenances ethniques.  La question de l’ethnicité fait ainsi son entrée dans la sphère scolaire, rompant ainsi avec la grande tradition de «neutralité » de l’école.

Dans ce cadre, employer le terme ethnie pour repérer les jeunes, fils d’immigrés revient à prendre en compte des aspects  subjectifs de stigmatisation dont ils sont victimes, mais dont ils contribuent aussi à renforcer le stigmate à travers des conduites et des modes de représentations. C’est une ethnicité qui se ramène au quartier, au groupe de pairs, à l’appartenance d’origine des parents, voire même à une expérience commune d’échec scolaire ou social. Elle peut se traduire par un rejet de l’institution scolaire, une appropriation du territoire de la cité, une opposition avec d’autres quartiers ne présentant pas les mêmes caractéristiques sociales ou ayant les mêmes, une opposition avec le groupe dominant.

L’adoption d’une posture d’opposition ethnique au sein des établissements scolaires est souvent due à une mauvaise situation scolaire à laquelle ils réagissent en prenant de la distance vis-à-vis de l’école et en affirmant une intégration juvénile très forte. Le contrepoids des difficultés scolaires est à ce moment-là compensé par un investissement très important dans les activités culturelles juvéniles. 

J. P. Payet,  montre comment dans les établissements scolaires des banlieues populaires des logiques ségrégatives s’organisent à travers le prisme de l’intégration culturelle. La difficulté des constats qu’il fait dans sa démarche, révèle la complexité qu’il y a à faire la part des choses entre une réalité sociale et culturelle, et la production de situations de différenciation ethnique. L’auteur démontre comment une exacerbation de l’ethnicisation entraîne des inégalités scolaires par le jeu des tensions et du système de représentation des uns envers les autres. Le danger d’une ethnicisation des inégalités scolaires se trouve donc dans le risque qu’il y a à se retrouver dans des cercles vicieux d’auto explication des situations scolaires. Une telle démarche court le risque de fausser l’appréciation des performances individuelles et donne surtout la parole qu’à un type d’explication.

L’expérience scolaire et universitaire des jeunes noirs d’origine africaine, et l’attitude des parents face à la formation de leurs enfants rappellent le cas d’autres publics de migrants. Dans ses écrits sur l’immigration algérienne en France, Zahia Zeroulou rappelle les attitudes mobilisatrices des parents qui n’hésitent pas à mettre l’école au centre des préoccupations familiales. Les parents à défaut de pouvoir aider leurs enfants dans le travail scolaire adoptent des pratiques éducatives visant à contrôler de façon très stricte et permanente la conduite des enfants à la maison, mais aussi en dehors. Au sein des familles, la réussite scolaire apparaît comme le résultat d’un ensemble d’aptitudes ou d’héritage culturel des parents. D’après les témoignages des jeunes, c’est par le travail qu’ils doivent s’intégrer à la société française et participer pleinement à la vie sociale et culturelle. Leur rapport au travail n’est pas instrumental comme peut l’être celui de leurs parents. Ils résonnent davantage en termes de carrière professionnelle.

Finalement pour l’auteur, les fils de migrants sont dans la même situation scolaire que les autochtones, mais viennent s’ajouter pour eux des problèmes sociaux de considération en tant que groupe étranger.

Les attitudes que nous avons observées chez les parents africains se rapprochent de celles décrites par Zahia Zeroulou.

En effet nous avons constaté que les parents sont très préoccupés par la scolarité de leurs enfants. Cela se traduit par une attitude de surveillance et de contrôle dans les premiers niveaux d’enseignement, ce qui par la suite cède le pas à une situation de perte de contrôle de la situation par manque de moyens techniques et méconnaissance du système scolaire. Les parents ont, au fur et à mesure de la scolarité de leurs enfants cédé dans les rôles où ils sont attendus (une participation au sein des établissements à un travail de rencontre), pour répercuter leurs attentes sur l’institution et le niveau de motivation des enfants.

Par contre, les jeunes n’attendent pas de l’école une intégration de type sociale et culturelle. Leur attitude première est celle de leur socialisation familiale et de quartier qu’ils confrontent au milieu scolaire. Ce qui fait que l’école est l’abordée à travers ces expériences de socialisation familiale et de quartier, ils ont vis-à-vis d’elle une attitude d’adaptation mais aussi une volonté d’y introduire de la particularité juvénile.

Ce qui introduit de la particularité dans leurs parcours reste la tendance encore présente à les considérer comme un groupe homogène étranger qui dans le temps rencontre les mêmes problèmes.

Vers une « interculturalité » française ?

Le défi à relever est celui qui consiste à réfléchir autour de situations éducatives complexes que vivent ces jeunes fils d’immigrés dans les institutions scolaires et non scolaires au contact de leurs camarades autochtones. Ces formes de socialisation sont vouées à se perpétuer dans les quartiers et à l’école dans la mesure où elles proviennent des mouvements de mobilité qui concernent aujourd’hui des publics de plus en plus importants. L’interculturalisme ainsi conçu s’attache à prendre en compte les incidences des mouvements migratoires sur le fonctionnement de la société et met ainsi en valeur, les dispositifs de communication.

La question de l’intégration des enfants d’immigrés a été traitée sous diverses approches : échec scolaire, approche comparative, les différences culturelles, la prise en compte des catégories socioprofessionnelles, les nationalités d’origine, etc. Cette multiplicité d’approches n’a pas pour autant clos le débat. Ce dernier reste d’actualité et continue de préoccuper de nombreux chercheurs, professionnels du social et du politique.

Pour une pédagogie interculturelle

Notre démarche est caractérisée par deux approches : l’interculturel (échanges culturels) et l’éducation que l’on peut regrouper sous le signe de la pédagogie interculturelle.

L’une des premières questions que nous nous sommes posé est : Comment peut-on être africains, noirs ou plus simplement d’origine étrangère, et considéré comme tel en France ?

Cette question préoccupe (ou plutôt embarrasse) les villes, les quartiers et les écoles ou les enfants de migrants sont venus déranger par leur «étrangeté » les «conforts » et les «familiarités » qui faisaient depuis longtemps l’ambiance des centres urbains en France. Ces enfants (et leurs parents) se sont vus prier de multiplier les efforts pour s’intégrer au plus vite et avec la plus grande discrétion dans la société française. L’école est alors censée être l’institution privilégiée pour enseigner à ces nouveaux venus la bonne manière d’être citoyen français. Or les risques attachés à l’insertion, à l’assimilation, et à l’intégration forcée sont connus, de même que les conséquences susceptibles d’en découler de part et d’autre, et qui ne sont plus hélas, de simples faits-divers.

C’est là qu’intervient toute l’importance de la question de l’interculturel, et de la pédagogie liée aux situations interculturelles. Nous pensons que c’est le rôle de la culture d’accueil et en particulier à l’école qui la représente, de travailler dans le sens qui consiste à montrer aux jeunes imprégnés en partie d’une autre culture la caractéristique du milieu dans lequel ils s’intègrent, c’est-à-dire la société au sein de laquelle ils sont acteurs, de son Etat, et de ses institutions. Ce qui veut aussi dire une prise en compte de leur rôle d’acteurs culturels. Les jeunes Françaises d’origine africaine sont à la recherche d’un équilibre entre une situation sociale et culturelle qu’ils ont hérité, et une participation aux valeurs françaises. Ceci ne veut donc pas seulement dire une assimilation à la culture française à travers la scolarisation et la vie en collectivités urbaine et nationale, mais implique également une mise en relief imaginaire de traits et de caractéristiques propres à ce que l’on peut situer comme étant la culture d’origine envers laquelle ils ont une attitude de respect.

Le domaine social et éducatif que nous avons observé s’imbibe et se laisse imbiber de cette atmosphère «inter culturaliste ». Et c’est bien d’atmosphère qu’il s’agit et non pas d’un courant d’idées structurées, cohérentes et organisées. Parce que le terme «interculturel » bien que né de l’action ne décrit ni ne définit l’action mais la catalogue et la classe. En l’absence donc de contenu, le seul dénominateur commun de ces actions, est les pratiques.

Ainsi cette indétermination situe «l’interculturel » comme un fait de société, un indice de quelque chose que le chercheur se doive d’évaluer et de cerner.

La dynamique interculturelle dans laquelle se situent ces jeunes concerne tout aussi bien des individus et des groupes appartenant à des cultures étrangères, au sens de «nationales », qu’à des cultures intra-nationales, voire intra-individuelles.

Le travail interculturel implique donc directement le sujet qui incarne dans sa personne, à un degré plus ou moins fort, une certaine réalité pluriculturelle. Se trouvent réunis dans le même mouvement, l’individuel et le collectif.

Pour cela, nous prenons à témoin un langage couramment utilisé chez les jeunes pour désigner des pairs. Ils parlent de « reubeu » « black », de « céfran » pour désigner des individus qui appartiennent à des entités qu’ils définissent comme telle. Il s’agit pour eux d’un langage courant qui s’apparente à une forme de classification selon les origines, et qu’ils utilisent en «surfant toujours sur le second degré ».  Par cette attitude, nous faisons l’analyse d’un assez bon niveau d’intégration inter-ethnique dans les relations qu’ils ont avec les autres jeunes, n’ayant pas les mêmes origines qu’eux.

Le fait de pouvoir se situer dans une logique qui prenne à la fois en compte la distance et la proximité nous renseigne sur les niveaux de sociabilité qui existent. Les jeunes sont moins contraints par des considérations de type appartenance ethnique fermées, ils sont dans la provocation n’hésitant pas quand il le faut, à se moquer d’eux et à utiliser le stigmate contre eux. 

Quelle pédagogie interculturelle ?

La pédagogie interculturelle qui les concerne se définit non pas comme un contenu, ni comme correspondant à un groupe social, mais comme une démarche structurée d’analyse et d’apprentissage, répondant à l’évolution pluriculturelle du système, du système social et donc du public national.

Cette pédagogie ne s’inscrit pas dans un processus d’enseignement des cultures, que ce soit la leur ou celle des autres, mais dans une démarche qui consiste à redonner à tout apprentissage sa dimension culturelle qui permet aux uns et aux autres d’évoluer dans des systèmes d’interactions faisant appel à l’individualité de chacun. Elle se comporte comme une réponse méthodologique et stratégique au pluralisme culturel.

L’indispensable adéquation de leur parcours au monde environnant exige une réactualisation de certains thèmes et objectifs. Le contact entre ces jeunes, d’autres jeunes, et adultes appartenant à des groupes sociaux et cultures différentes pousse chacun à développer certaines aptitudes allant dans le sens où chaque particularisme,   développe sa perception du monde. Cette démarche s’effectue dans l’affrontement avec les autres. Être individu dans ce contexte, c'est être capable de faire des transferts dans un autre centre de perspective.

C’est dans le cas des interactions relatives à la vie en société que la pédagogie interculturelle, qui est une pédagogie en acte, se construit et se développe dans la confrontation, l’expérience et l’analyse. Ce qui fait dire que l’interculturel n’est pas un caractère inhérent aux faits, c’est une construction dont il est nécessaire de comprendre les implications et les virtualités.

Les jeunes noirs d’origine africaine le montrent bien quand ils discutent de la constitution des groupes qu’ils forment dans les zones d’habitat. Il s’agit pour eux non seulement de s’intégrer à une bande, mais aussi d’y développer une certaine individualité. Nous avons affaire à des interactions qui intègrent plusieurs logiques : la participation à une communauté juvénile, la prise en compte de leur héritage culturel, et leur individualité.

Dans une perspective normative, l’idée d’une pédagogie interculturelle est en fait un moyen de réconcilier socialisation et éducation, en permettant aux acteurs (jeunes) de conjuguer l’affirmation d’une culture propre, d’une identité, avec une participation individuelle à la vie scolaire. Ce qui implique pour les jeunes une marque de tension qui n’est que le témoin de leur subjectivité.

Dire que la société française est marquée par le sceau de la diversité culturelle relève désormais d’un constat d’évidence qui ne permet pas de réguler le problème dans ces incidences sociales et éducatives.

Le pluralisme ne constitue pas un fait politique nouveau. Ce qui est nouveau, c’est la façon de prendre en compte la diversité, ce sont les conditions d’actualisation du pluralisme ainsi que son association systématique au mot culture. Pluralisme culturel et multiculturalisme sont des expressions qui traduisent les mutations sociales et culturelles auxquelles la société doit faire face.

Lorsque nous parlons de pluralisme, nous sommes en droit de nous demander quelles peuvent être les incidences sur l’éducation et la socialisation des enfants. En l’absence de perception globale du problème nous avons constaté diverses actions mises en œuvre. Ces pratiques relèvent d’une double carence : celle du choix de société et des finalités éducatives énoncées clairement en tenant compte des nouvelles réalités sociales ; et celle d’un retard ou d’un recul de la recherche en sciences sociales et éducatives par rapport aux dynamiques en cours (non-reconnaissance institutionnelle contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays européens).

Une pluralité assumée

La pluralité telle que nous la définissons n’est pas une addition de catégories et de groupes uniformes. Elle se conçoit au niveau social comme une démarche qui intègre à la fois les personnalités, l’individualité des acteurs, et les normes du cadre relatif à la socialisation de ces derniers.

La question de l’ethnicité, et surtout celle du refus d’une ethnicisation des attitudes et comportements des enfants de migrants, s’accorde d’après les parcours individuels et collectifs, avec une volonté de réduire les inégalités, et de lutter contre l’échec de l’intégration. Il ne s’agit nullement de nier l’échec dans les catégories minoritaires et marginalisées, mais de s’écarter de toute analyse de cet échec en fonction des seuls critères culturels.

Par ailleurs, une telle prise de position nécessite aussi une prise en compte des situations de réussite. C’est un cadre d’analyse qui favorise une lecture prenant en compte la complexité des situations sociales économiques et culturelles.

La tendance chez les jeunes à valoriser les différences en cultivant un « look » qui signifie à la fois identité spécifique et intégration à la société juvénile traduit une critique de la nature normative de la situation. La France se pluralise en se divisant et en se décomposant, par rapport à une institution qui, pour avoir un caractère pluriel n’en reste pas moins une société globale. A une société homogène, élitiste et maîtrisée par les acteurs qui la fréquentent (en termes de capital social, économique et politique), s’oppose une société non homogène caractérisée par le fait de recevoir des groupes de plus en plus diversifiés et de plus en plus éclatés.

Les différentes altérités présentent au sein des groupes de jeunes, que se soit à travers le « look » ou à travers des origines minoritaires, permettent de fait une forme d’éducation morale entre jeunes qui varie selon les structures et les quartiers.

Cependant, nous constatons que la prise en compte de la diversité des cultures sert une éducation au sein d’une société ou les conflits interculturels sont atténués. Elle peut aussi aider à résorber les inégalités sociales et politiques à travers des générations d’individus qui ont été socialisés dans les mêmes structures. Mais il est important de noter, que la prise en compte des cultures par l’école par exemple se doit de dépasser une certaine forme d’activisme et ne pas être réduite à une forme doctrinaire de la pédagogie.

Ce qui à notre avis reste un cadre visant à favoriser la communication prend évidemment en compte le fait que les jeunes dans les quartiers et par répercussions dans les établissements scolaires sont dans des attitudes de «frime » et de provocation qui peuvent faire penser à une radicalisation des relations entre différents groupes ethniques. En fait, la frontière est mince entre des propos faisant référence à un comportement relevant d’une appartenance ethnique à propos d’une personne ou d’un groupe, et ce qui peut être pris comme une injure.

Nous avons remarqué et cela en totale contradiction avec le cadre «égalitaire » des institutions nationales, la facilité avec laquelle ils naviguent entre discours sur l’intégration et revendication de type particulier ; le second degré étant devenu un mode d’expression, un travail d’approfondissement du sens des tournures s’avère nécessaire, tant le vocabulaire change et les expressions diffèrent d’un quartier à un autre.

Conclusion

Contrairement aux parents, les jeunes noirs d’origine africaine se caractérisent par une intégration culturelle importante et un niveau d’insertion assez faible.

L’intégration des jeunes, fils d’immigrés, est souvent présentée comme un processus relevant d’une logique qui s’intègre dans un système doté d’une homogénéité culturelle. À partir de là, il est aisé de dire que c’est une démarche passive et normative de mise en conformité progressive aux valeurs de la société d’accueil. Le travail, l’observation du milieu des jeunes montre une toute autre logique.

En effet, ces derniers révèlent un processus d’intégration qui se présente comme la mise en présence de logiques distinctes. Ils sont donc auteurs de leur processus d’intégration à travers des dynamiques qui font appel à de la réactivité, à de l’opposition, et à de la contradiction. Bref, ils font des choix stratégiques qui les placent au cœur d’un ensemble de tensions et de relations sociales.

Les difficultés qu’ils rencontrent concernent essentiellement le fait qu’ils soient renvoyés à une différence culturelle à laquelle ils ne se reconnaissent pas. Ils adoptent une démarche qui consiste à ne pas se définir comme relevant uniquement de la culture de leurs parents ou bien de celle du pays d’accueil, ils choisissent de ne pas choisir, préférant se construire à fur et à mesure de leur socialisation.

Leur place, ils la créent en prenant leur distance avec une immersion totale à la culture locale, et en refusant d’incarner une culture étrangère. Ils ont tendance à exacerber leur appartenance selon les situations ; lorsque l’on veut les renvoyer à leur unique appartenance française, ils font valoir leur « culture africaine », et lorsque l’on veut les enfermer dans une appartenance relevant uniquement de la socialisation familiale, ils font valoir leur culture française.

Nous avons affaire à des jeunes conscients de leurs positions sociales et culturelles, ce qui les rend sensibles au regard d’autrui. Cette recherche d’un équilibre permanent entre ancrage en France et distanciation leur permet d’être des acteurs de leur propre vie. C’est ainsi qu’ils optent pour une acceptation de la logique communautaire mise en place par leurs parents.

Il s’agit pour eux d’y développer le minimum d’accords nécessaires leur évitant un éloignement du milieu familial. Tout en n’adhérant pas culturellement à la communauté ethnique et familiale, ces jeunes optent pour une forme de consensus qui consiste à éviter les séparations et la rupture totale. Ils témoignent vis-à-vis de la culture parentale dont ils se sont éloignés, une forme de respect qui prend en compte les efforts consentis pour sa mise en place. Leur présence au sein du milieu communautaire dépend de leur capacité à négocier et à faire accepter une certaine altérité.

Au sein des établissements scolaires, ces derniers se retrouvent dans la situation générale des jeunes des couches populaires. Viennent s’ajouter pour eux des difficultés liées à l’ethnicisation de l’orientation et de l’échec scolaire d’un certain nombre d’entre eux ou d’une adhésion trop marquée à la culture juvénile qui quelques fois se transforme en position anti-scolaire.

Cette situation s’explique par le fait qu’au sein des établissements se répercutent et parfois s’amplifient les réalités sociales des quartiers et des mutations économiques du pays. Leur scolarité n’est pas à évaluer en termes d’échec ou de réussite, mais par rapport à une certaine relation avec les logiques mises en œuvre. Elle se définit par une analyse de la difficulté de l’institution scolaire à voir les différences pour ce qu’elles sont. Une tendance trop importante à privilégier la spécificité des parcours et les difficultés scolaires de certains, les conduits (eux et leurs parents) à manquer de confiance et d’assurance face à l’école. De ce fait, ils développent souvent une bonne intégration à la jeunesse, par contre, ils se caractérisent par un faible niveau de maîtrise du fonctionnement de la logique scolaire.

Cette situation, ajoutée à leur éloignement des réseaux communautaires d’emplois, leur fait aborder l’avenir avec les incertitudes liées à leur génération. Ce qui explique l’envie qu’ils ont de se construire en tant qu’adulte dans des endroits différents de ceux où ils ont été socialisés, espérant y trouver un contexte favorable à leur expression et à leur insertion.


Philippe Bataille : « Le racisme au travail » Paris La Découverte Syros, 1997.
Kardiner Abraham, Ralph Linton, Prigent Tanette, Lefort Claude : « L’individu dans sa société : essai d’anthropologie psychanalytique » Paris, Gallimard, 1969.
Alain Léger : «Fuir ou construire l’école » Méridiens – Klincksieck 1998. 
Zahia Zeroulou : « L’insertion sociale et professionnelle des jeunes diplômés issus de l’immigration » sous la direction de Georges Courault CIEMI 1990.
Mahamet Timera : « Les Soninkés en France – d’une histoire à l’autre » Editions Karthala 1996.
M. Duru – Bellat, Agnès Henriot – Van Zanten : « Sociologie de l’école » Armand Colin, 1992.
Voir aussi Olivier Cousin : «L’efficacité des collèges : sociologie de l’effet établissement » Presses Universitaires de France, 1998.
F. Dubet : « Le racisme et l’école en France » in M. Wierviorka : « Racisme et modernité » La Découverte, 1992.
F. Dubet, Danilo Martucelli : « A l’école. Sociologie de l’expérience scolaire » Seuil, 1996.
J. P. Payet : « Civilités et ethnicités dans les collèges de banlieue : enjeux, résistances et dérives d’une action scolaire et territorialisée » Revue française de Pédagogie, n°101 octobre-novembre-décembre 1992.
« Collèges de banlieue. Ethnographie d’un monde scolaire » Méridiens-Klincksieck, 1965.
Zahia Zeroulou : « L’immigration au tournant » l’Harmattan et le CIEMI, 1990.
David Lepoutre : « Cœur de banlieue. Codes rites et langages » Editions Odile Jacob, 1997.
François Dubet : « Sociologie de l’expérience » Paris Editions du Seuil, 1994



Màj : 3/10/07 17:25
 
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