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10/07/04 Jean-Martin Coly
10 juillet 2004
CARTES

Fraude électorale et violence politique : le cas des pays d’Afrique subsaharienne

L’Afrique subsaharienne (ensemble des pays africains au sud du Sahara, plus connu sous le nom d’Afrique noire) traîne une infernale image médiatique faite de guerres et de calamités, de désastres et de violences. Pourtant, l’Afrique noire est un continent qui dispose de formidables atouts humains, miniers, naturels, etc. Nous allons de tenter de comprendre cet écart qui existe et qui persiste entre un continent aux atouts et aux possibilités certaines et une situation géo-politico-médiatique marquée par d’incessants bouleversements aussi subits que violents.

Des indépendances à la chute du mur de Berlin

Depuis les années 60, celles des indépendances de la plupart des pays d’Afrique noire, nous assistons aux mêmes rituels ; des populations qui prennent espoir et qui très vite déchantent. Les indépendances ont constitué du point de vue historique la naissance de pays « libres », « autonomes » disposant de territoires propres et de gouvernements autonomes.

Trente années plus tard, dans un contexte géopolitique marqué par la guerre froide et la partition des régimes africains autour de l’axe est-ouest, force est de constater que du point de vue de la gestion politique, de l’économie, de la sécurité, de la participation à l’économie mondiale, la situation de l’Afrique subsaharienne n’a pas connu le décollage escompté. Certains disent même qu’elle est male partie (René Dumont : « L’Afrique noire est male partie » ) laissant entrevoir des possibilités d’amélioration.

La chute du mur de Berlin vient clore une longue période de bi-polarisation du monde. Ses soubresauts ont concerné le continent africain. C’est ainsi que nous avons assisté à une sorte d’émancipation politique marquées par des contextes nationaux où les notions de démocratie et de démocratisation de la situation prennent une importance nouvelle.

De façon simultanée, la communauté internationale (Sommet de la Baule) tente de corréler son aide en Afrique au niveau de démocratie interne de chaque pays. Appuyant ainsi les aspirations des populations incarnées ici et là par des conférences nationales.

Les nouvelles aspirations qui ont suivi la chute du mur de Berlin n’ont pas été satisfaites tant par les pouvoirs en place que par l’accompagnement nécessaire de la communauté internationale.
Dix années après la chute du « rideaux de fer », la situation socio-politico-économique de l’Afrique subsaharienne n’est toujours pas stabilisées. Il existe toujours des crispations et des violences de toutes sortes. Les pouvoirs en place, ne réussissent pas à assumer pleinement leurs responsabilités. Les populations locales manquent de repères nationaux se laissant facilement influencer par les extrémismes et les mouvements non démocratiques.

Cette situation rappelle les deux étapes précédemment décrites : un contexte international qui nécessite des changements radicaux, des aspirations populaires qui vont dans ce sens et un statu-quo (régression féconde) inquiétant pour l’avenir du continent africain toujours marqué par les conflits armés.

Une telle situation politique marquée par des acteurs institutionnels qui sont les premiers à bafouer les règles du jeu démocratique nous interpelle. Comment se fait-il que des mouvements insurrectionnels (rebellions) qui mettent en cause les représentants de l’Etat arrivent à devenir légitimes ?

L’Afrique et la chute du mur de Berlin

La fin de la guerre froide met fin à la bipolarisation de l’Afrique entre pays d’inspiration « communiste » et pays d’inspiration « libérale », chaque camp avaient la possibilité de s’appuyer sur des partenaires fixes. Ce cadre constituait une véritable « rente politique » pour des régimes, souvent peu fréquentables, mais situés de l’un ou de l’autre côté de l’axe est-ouest.

Cette nouvelle situation (chute du mur de Berlin) non anticipée du côté africain bouleverse les cadres qui ont guidé les gestions politiques locales et les relations internationales. On assiste, sous la pression de la communauté internationale, à des « soubresauts » motivés par une volonté imposée de démocratisation des sociétés africaines.

La chute du mur de Berlin signifiait la fin de la tutelle géopolitique. C’est aussi la fin de la mascarade de l’aide au développement au nom duquel les « parrains » de l’Est et de l’Ouest fermaient les yeux sur les atrocités des régimes en place. L’aide publique au développement chute. Elle passe de 26,6 milliards de dollars en 1990 à 16,4 milliards de dollars en 2000. Ce qui fragilise la volonté de démocratisation du plus grand nombre et précipite les institutions vers une gestion démagogique facile.

Une situation conflictuelle

Les conflits ethniques, les affrontements religieux, les litiges frontaliers se multiplient. De nouvelles tensions voient le jour, elles opposent nationaux et immigrés dans un contexte d’agitation politique ou les dirigeants font croire que le « gâteau »  se réduisant, il faut aussi réduire les ayants-droit.

Nous assistons à l’émergence d’une double illégitimité. Les rébellions prennent forme, se nourrissent et prospèrent des changements autoritaires et illégitimes, les régimes deviennent de plus en plus violents, donc illégitimes. Les régimes en place sont de moins en moins démocratiques, de plus en plus violents au nom de la protection de l’intégrité territoriale. Les rébellions, quant à elles, s’appuient sur l’illégitimité des régimes pour les contester en utilisant des moyens tout aussi violents et non démocratiques.

Le génocide des Tutsis au Rwanda, la guerre de pillage dans l’ex-Zaïre, des massacres un peu partout sur le continent font croire à une volonté de suicide. C’est le « temps du malheur » (réf Achille Mbembe) pour l’Afrique. Une fois de plus l’espoir de lendemains meilleurs, d’une nouvelle forme d’indépendance, d’un autre « soleil » sur l’Afrique (Ahmadou Kourouma : « Le soleil des indépendances ») s’est révélés être un désastre, un rendez-vous manqué pour les dirigeants africains, une nouvelle désillusion pour les populations africaines.

Cette approche essentiellement catastrophique trouve ses explications dans les écarts qui existent entre des aspirations démocratiques naturelles et les régimes en place qui ne respectent pas la démocratie.

Mise en place de pouvoirs issus des élections

Les années 90 marquent le début de la « démocratisation » des modes d’administration publiques des sociétés africaines. Des conférences nationales étaient censées consacrer la rupture politique avec un passé dominé par les régimes à parti unique fait de violence et de sang. Une ère nouvelle était censée alors s’ouvrir marquée par des élections libres et pluralistes garantissant une alternance politique pacifique.

Cette marche vers la démocratie s’effectue au rythme d’élections présidentielles, législatives et municipales. Elles devaient permettre aux peuples de choisir librement leurs représentants et fournir à ces derniers la légitimité de gouverner pour une période déterminée jusqu’à ce qu’ils soient soumis au verdict du peuple par le biais de nouvelles élections. Très vite les opinions publiques se rendent compte que les élections ne constituent pas une fin en soi et qu’elles ne suffisent pas à installer une démocratie.

Dix années de démocratisation laissent un bilan plutôt mitigé pour ne pas dire décevant. Elles se caractérisent par un recours accru aux urnes comme moyen de conquête du pouvoir (Congo, RDC, Burundi, Niger, etc.), le maintien de dictatures, l’état de guerres permanent dans de nombreux pays (Algérie, Libéria, Soudan, Sierra Léone, Congo, Angola, etc.).

Les conséquences humanitaires et économiques sont incalculables, elles corroborent « l’afro pessimisme » et accrédite l’idée que la démocratie n’est pas adaptée au continent noir.

Un pluripartisme tronqué

Dans de nombreux pays, le monopartisme a laissé la place à une multitude de micro-partis non-démocratiques. A la tête de certains d’entre eux ont été placés, les représentants de la nouvelle classe politique, jeunes loups pressés de s’enrichir et de se constituer un patrimoine avant d’être démis et tout aussi avides du pouvoir pour le pouvoir que leurs aînés.

Mais de manière générale, le jeu politique restait piloté par les caciques des anciens régimes qui ont su traverser toutes les crises politiques depuis les indépendances et qui n’hésitent pas à se proclamer « champion de la démocratie » pour se conformer au nouveau lexique de la scène internationale.

Avec le temps les représentants des oppositions, privés de statut valorisant, de perspectives de mobilité politique ont souvent brillé par leur manque de participation constructive, piaffant d’impatience et d’opportunisme, à la porte du pouvoir, prêts eux-aussi à user de tous les stratagèmes pour y accéder, à se servir et à passer dans le camp du plus fort.

C’est ainsi qu’ils sont devenus les clients des aînés politiques qui sont tout naturellement revenus occuper le devant de la scène. Ce système permet de distiller des prébendes et de verrouiller totalement un appareil d’état. Celui ci prend alors les apparences d’une cour d’autant plus avide et plus exigeante que le cercle des « ayants droit » à la richesse nationale se réduit à mesure que la crise économique s’aggrave sous la pression des ajustements structurels, des dévaluations et de l’inflation.

Conserver le pouvoir au prix de toutes les compromissions devient le leitmotiv, ce qui n’est évidemment pas sans conséquences sur les mécanismes électoraux.

Une fraude électorale généralisée

Pour les dirigeants politiques africains, la philosophie des élections se résume par une marche forcée vers la reconduction de leur mandat « on n’organise pas des élections pour les perdre » propos tenus par Pascal LISSOUBA ex président de la République du Congo Brazzaville.

Découpage électoral « sur mesure » et recensement administratif tronqué (Congo, Kenya) ; lois électorales conçues pour disqualifier des adversaires parce qu’ils sont « d’origine étrangère » (Cote d’Ivoire, Zambie) ; contrôle exclusif des médias et mobilisation des finances publiques et arrestations des adversaires politiques (Niger, Zimbabwe) ; chasse aux non-originaires de la région ; organisation d’un climat d’émeute dans certaines zones favorables aux candidats de l’opposition : survol rapide de l’arsenal des méthodes utilisées pour garder le pouvoir.

Il existe bien évidemment de nombreuses méthodes assez courues pour influencer les élections. Prétendue protection des bureaux de vote par des hommes en arme y compris à l’intérieur des locaux ; présence près des urnes de chefs traditionnels ayant précédemment bénéficié de quelques largesses d’un candidat et qui veillent à ce que les votes aillent dans le bon sens ; urnes qui n’arrivent pas dans les bureaux de vote parce que les préfets manquent de carburant pour aller les chercher etc.

Les élections apparaissent alors comme un simple moyen de légitimation d’un pouvoir confisqué au nom de l’ordre et de l’intégrité territoriale. Le Togo illustre parfaitement cet exemple : le général Eyadéma s’est maintenu à la tête de l’Etat en 1993 après un scrutin dont les irrégularités étaient avérées. Au Gabon, le président sortant proclama sa victoire au premier tour des élections en 1993 alors que le dépouillement n’était pas achevé dans la capitale, bastion de l’opposition.
On peut alors s’interroger sur le rôle des observateurs électoraux dépêchés par des agences de coopération du nord et des institutions internationales à l’occasion des scrutins. Leur présence a indéniablement contribué à minimiser la fraude. Cette présence n’a cessé de montrer ses limites au fil des ans et des scrutins, en partie en raison de son enfermement dans une logique diplomatique, mais aussi en raison de son unique présence lors du vote occultant le respect des règles lors des périodes de campagnes.

En fait, l’observation des seuls scrutins électoraux telle qu’elle est pratiquée jusqu’à présent a montré ses limites et ses faiblesses. Il faudrait une approche globale qui concerne l’ensemble du phénomène électoral. En réalité la fraude s’organise en amont et en aval, les irrégularités enregistrées le jour du scrutin ne sont que des épiphénomènes liés aux élections.

Les observateurs internationaux ont parfois permis de donner une légitimité à des élections car, au nom du devoir de non-ingérence, ils rédigeaient des rapports de plus en plus conciliants. Les bailleurs de fonds étaient satisfaits, ainsi que les élus et les gouvernements en quête de reconnaissance. Ils répondaient ainsi aux exigences d’une communauté internationale conditionnant son aide au développement, à l’avancée de la démocratisation.

La focalisation sur l’élection présidentielle a occulté la nécessaire consolidation des fondements de la démocratie, la mise en place de tous les mécanismes qui contribuent à l’accomplissement du jeu démocratique (liberté syndicale, liberté de la presse, fonctionnement des institutions républicaines, respect de la constitution, indépendance de la justice, acceptation du rôle critique des intellectuels).

Impatiences démocratiques des populations

Dans un contexte général marqué par des élections qui ne le sont que de nom, les populations sont celles qui paient le prix fort de ces incessantes variations régulièrement conclues par le sceau de la violence.

Les populations manifestent régulièrement leur volonté de voir les choses changer. Parmi les éléments catalysant leurs mécontentements, nous retrouvons : l’absence de justice sociale, la précarité de la sécurité des personnes et des biens, l’absence de transparence et de rigueur dans la gestion publique, en somme un manque de démocratie réelle.
L’absence de justice sociale se traduit par l’impossibilité qui frappe les populations n’appartenant pas au sérail de se construire une place. Les élites au pouvoir jouissent d’une impunité totale.

Les processus de démocratisation mis en place aux lendemains des conférences nationales laissaient entrevoir de nouvelles perspectives de mobilité moins adossées à la seule allégeance aux cercles du pouvoir en place. Très vite ces espoirs se sont avérés vains. La hausse de la pauvreté, la baisse régulière des budgets d’éducation, la propagation du sida, pour ne citer que ces dégâts sont devenus le quotidien de millions d’africains tandis qu’au sein des classes dirigeantes, des richesses immenses s’expriment au grand jour.

Cet état de fait n’a fait que s’aggraver.

La population des pauvres a augmenté et les personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour sont passées de 179 millions en 1987 à 218 millions en 1993, soit 61% de la population au Niger. Entre 1981 et 1989, on a enregistré en Afrique subsaharienne une baisse cumulée de 21% du PNB réel par habitant. Le recul a touché à la fois les pays ayant entrepris des ajustements structurels sous le diktat du FMI et de la Banque Mondiale et les autres.

Ces maux qui touchent la majorité des peuples africains neutralisent les tentatives menées ici et là par ces derniers pour améliorer leur sort. Face à l’impossibilité qu’elles ont de se soigner, de s’éduquer, de se nourrir convenablement, nous constatons le pillage organisé des ressources d’Etat par les classes dirigeantes et des pratiques de redistribution de ressources, par l’Etat, à ses courtisans. Véritables mécanismes de prédation qui ont conduit à la ruine de nombreux pays africains, parmi lesquels, bien sûr, le Zaïre du maréchal Mobutu.

Le poids des réseaux mafieux et des lobbies divers qui contrôlent les ressources stratégiques et soutiennent des régions non légitimées ne fait qu’aggraver la situation socio-économique des pays africains.

La précarité de la sécurité des biens et des personnes

Ce contexte de paupérisation généralisée fragilise les liens sociaux et les niveaux de sécurité nécessaires à la vie sociale apaisée. Partout nous assistons à la montée de faits de violence.

Ils se traduisent par les méthodes répressives utilisées par les Etats pour enrayer toute tentative de construction et d’organisation du mécontentement. Les rapports inter individuels sont de plus en plus tendus. Les faits de violence institutionnelle sont le fait de la répression d’Etat (police, milice, agence de sécurité) pour maintenir les logiques contestataires dans un niveau de soumission empêchant toute expression des populations.

Les forces de sécurité sont essentiellement employées à un rôle répressif interne et non à la sécurisation de l’espace public. Les forces de police se caractérisent souvent par leur capacité à « mater » les grèves estudiantines, les mobilisations syndicales de travailleurs et à terroriser les leaders des mouvements de contestations. L’Etat utilise les forces de sécurité à des fins de verrouillage et de muselage de l’expression populaire, seuls ceux qui lui font allégeance ont le droit de s’exprimer.

C’est ainsi que s’instaure un climat délétère qui consiste à faire taire les contestataires et à instaurer un climat de méfiance des citoyens les uns envers les autres. La délation et ses conséquences éventuelles pèsent sur des individus « balancés ». Nous assistons ainsi aux prémisses du chaos social et de l’aléatoire comme mode de gestion publique privilégiée. Une telle situation est favorable à l’émergence de bandes de voyous de toutes sortes. Elles agressent, pillent et quelque fois tuent sans que pour autant les questions de sécurité de l’espace publique et donc des personnes et des biens ne deviennent une préoccupation majeure.

L’arbitraire et la prédation (loi de la jungle) tendent à se généraliser dans un contexte marqué par la précarisation extrême des situations nationales et sous-régionales. Ni les personnes ni les biens sont en sécurité. L’Etat n’assure plus sa fonction de protection des citoyens. Face à cela, les populations s’organisent tant bien que mal pour faire face à nombres d’agressions, pour se préserver et protéger leurs biens.

Nous assistons à l’émergence de « comités de vigilance », de « comités de quartiers » chargés de la sécurité des biens et des personnes dans de nombreux centres urbains. Les comités financés par les populations se chargent dans des zones, quartiers, « ghettos » de veiller à combattre les vols, les agressions, quelques fois à contrôler les allers et venus, à repérer les « habitudes » des « étrangers ». Nous assistons, ainsi, à une « privatisation » de la sécurité publique qui se retrouve aux mains de citoyens qui selon leurs moyens se paient des professionnels de la sécurité ou des amateurs qui ne connaissant rien aux règles et aux méthodes de sécurisation des espaces publiques.

Toute cohésion sociale devient impossible. L’espace publique n’est plus régi par un système juridique appliqué à tous. Il devient, de fait, l’expression de courants divers qui se l’approprient à des fins de prédation. La notion de communauté nationale perd tout son sens. Nous avons plutôt affaire à la somme d’intérêts privés divers qui se neutralisent selon le principe du règne du plus fort sur le moment, lui-même appelé à être détrôné par plus fort que lui.

L’absence de transparence et de rigueur dans la gestion publique

Le scénario régulièrement répété d’élections « truquées », de dinosaures politiques qui n’existent qu’à travers l’étendue de leur cours, du mépris des règles du jeu électoral et démocratique ne fait qu’éloigner les classes dirigeantes du peuple et renforce le flou dans lequel s’installent les régimes en place.

De ce fait, la gestion des affaires publiques ne répond plus à un ensemble de règles édictées et censées organiser les « relations »internes. Elle se transforme en une gestion néo-patrimoniale des biens publics aux seules fins de l’enrichissement du clan au pouvoir. Cela se traduit par une absence totale de règles transparentes et une gestion « anarchique » des affaires publiques. Tout se négocie, tout s’achète (la corruption est un fait endémique).

Seule la situation du moment et les moyens utilisés pour les résoudre font office de règles. Les populations qui vivent ce système finissent par perdre toute notion de régulation. Elles ne se fient qu’au chaos général dans lequel elles sont plongées. Elles utilisent pour se faire entendre et participer, les relais familiaux, ethniques, politiques, des pouvoirs en place pour tantôt plaider leur cause, bénéficier d’appui, accéder à la propriété privée, à l’emploi, la scolarisation, etc.

L’ensemble des fonctions régaliennes de l’Etat est ainsi soumis à un principe de marchandisation organisé du sommet de l’Etat jusqu’au moindre fonctionnaire. La notion de service publique disparaît pour laisser place à celle de service rendu par un agent de la fonction publique moyennant finances. L’accès aux services de l’Etat se trouve fortement obstrué par des niveaux multiples de corruption qui s’organisent au gré des vents.

Cette absence de transparence et de « rigueur » dans la gestion des biens publics à travers le néo-paternalisme et une corruption endémique altèrent grandement la pertinence d’un espace public au sein duquel la « compétition » existe. Elles démantèlent les services publics qui deviennent la propriété privée des clans au pouvoir. Ces derniers n’hésitent pas alors à « vendre » ces services aux populations en mesure de payer.

Le cynisme et la marchandisation « sauvage » des rapports publics constituent les prémisses d’un autre chaos ; la contestation des pouvoirs devenus illégitimes par des rébellions tout aussi illégitimes s’appuient sur l’illégitimité des gouvernants pour les contester.

Et aujourd’hui ?

Depuis la chute du mur de Berlin qui a suscité de grands espoirs de libéralisation politique et économique, les sociétés africaines ont connu le temps de la désillusion et des renoncements en tous genres.

L’Afrique subsaharienne qui s’est abîmée dans des conflits et l’instabilité a sacrifié la démocratie à la démagogie. Les régimes issus des élections qui ont suivi les conférences nationales ont refusé de jouer le jeu démocratique. Des élections truquées occasionnent des crises électorales répétées lors desquelles les opposants crient toujours à la fraude électorale.

Nous avons affaire à des stratégies de maintien au pouvoir à tout prix qui installent les bases du chaos. Elles expliquent l’usage de la force et de la violence pour maintenir «  la tête des populations sous l’eau ». Ces dernières sans repères fixes, sans règles de vie collectives stables sont de plus en plus paupérisées. Elles sombrent dans une sorte de société lymphatique incapable de se révolter.

Face à un tel désastre, les économies, les relations internationales et l’émergence d’acteurs nouveaux porteurs de changement se trouvent affaiblis.

Des économies en crise - la crise ivoirienne

Les ravages et destructions provoqués par les crises en tout genre (conflits, chaos généralisé) aggravent les maux inhérents à la pauvreté. La plus grande partie des populations est maintenue dans la domination et la marginalisation.

Dans toutes les capitales de l’Afrique subsaharienne, les conséquences de la crise ivoirienne se font sentir. Après six mois de conflit en Cote d’Ivoire, bon nombre de sociétés étrangères ont du adapter leur dispositif. Les sociétés françaises très exposées du fait de la présence militaire ont évacué leurs cadres, d’autres préfèrent transférer leur personnel dans les pays voisins. C’est ainsi qu’Accra, la capitale du Ghana est très attractive. Sa proximité et un contexte politique rassurant joue en sa faveur. Les entreprises françaises testent ainsi également leur capacité à travailler dans un pays « anglophone ».

Par exemple, Nestlé qui possède 2 usines , a délocalisé une partie de ses cadres ainsi que leurs familles à Accra. Sous la contrainte, nous assistons à une tentative de la part des entrepreneurs européens de recherche de partenaires politiques nouveaux. Accra est nettement moins bien desservie que la capitale économique ivoirienne ceci pose un problème pour cette migration des implantations vers le Ghana.

Autre destination de repli pour les entrepreneurs étrangers (français et libanais principalement) : Dakar, la capitale du Sénégal. Le pays a connu une alternance sans heurt en 2000. Il jouit d’une stabilité politique appréciée au niveau international. L’arrivée de nombreuses PME – PMI a pour effet de doper les investissements immobiliers. La demande de bureaux augmente du fait de l’arrivée des « ivoiriens ». Le secteur du bâtiment se porte bien et les prix sur le marché restent à la hausse. Cependant cette solution dakaroise présente un certain nombre d’inconvénients.

Si le transfert du siège de société ou d’organisations internationales peut s’y faire aisément, la délocalisation d’activités industrielles se heurte à un problème de compétitivité et aux insuffisances d’infrastructures. Le Sénégal ne dispose pas pour le moment de capacités de sous-traitance et d’accueil des industries.

Ce constat est similaire pour les transports maritimes. La baisse de trafic du port d’Abidjan profite au port de Dakar par où transite une partie du fret destiné au Mali (pays n’ayant pas de débouché sur la mer). Les containers se vident très lentement dans la capitale sénégalaise. Ils ne peuvent tous être évacués par train en raison de la vétusté de la voie ferrée Dakar-Bamako. Le transport par camion, entre ces deux villes, est long et hasardeux; le réseau routier est en mauvais état.

Le Mali se trouve dans une grande dépendance. 70% de ses importations et exportations transitent par la Côte d’Ivoire. Il a opté pour une stratégie de diversification. C’est ainsi qu’il envisage de basculer une partie de son trafic (notamment pour le coton) vers la Guinée Conakry et le Togo. Le coton est vital pour l’économie malienne. Ce pays est le premier producteur de coton en Afrique subsaharienne. Le Burkina-Faso, second producteur de coton, se trouve confronté aux mêmes difficultés que le Mali.

Pour ne plus dépendre uniquement d’Abidjan ; les trois pays enclavés que sont le Mali, le Burkina et le Niger se tournent vers les ports de Lomé, Conakry et Iéma au Ghana.
L’augmentation des distances a pour conséquences la hausse des coûts de transports. Le passage par le Ghana est d’autant plus périlleux qu’il nécessite de s’acquitter de droits de douane car ce pays n’appartient pas à l’union douanière mise en place par les huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) que sont le Bénin, le Burkinabais, la Côte-d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo.
Les prix des marchandises importées augmentent. La hausse est très sensible pour le blé au Burkina et le ciment au Mali.

Les conséquences d’une crise durable en Côte-d’Ivoire sur les pays de la sous-région risquent d’être catastrophiques.

Entre libéralisme et protectionnisme

L’Afrique est un acteur marginal de l’économie mondiale. Le plus grand continent de la planète pèse moins de 2% du commerce mondial. Elle a reçu, en 2003, 1,2% des investissements directs étrangers. Accroître l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale apparaît comme un défi majeur qui s’impose à tous : gouvernements, populations et organisations mondiales.

Quelques « effets » de la mondialisation ont poussé l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) à tenter un dialogue avec les pays africains. Le sommet de Dakar (23-25 avril 2003) en témoigne, cependant cette réflexion sur la mondialisation cache une volonté de libéralisation des économies au risque d’affaiblir un peu plus les quelques dispositions politiques dont bénéficient les Etats.

Il ne s’agit pas de dire que l’Afrique doit se situer en dehors de la mondialisation mais plutôt d’affirmer fortement que le continent africain y participe déjà. L’exploitation de son sous-sol et l’enrichissement extraordinaire de certaines multinationales le montrent aujourd’hui. Ce qui est en jeu c’est l’équité de ses rapports commerciaux internationaux.

Il faut en finir avec les politiques d’aide au développement qui ont fait la preuve de leur échec. Elles ont contribué à augmenter le gouffre qui sépare les pays dits développés de l’Afrique. De nouvelles stratégies de développement doivent être pensées au niveau africain. Il en est de même pour l’émergence d’un capitalisme local, organisé autour d’un secteur privé qui doit être le moteur des relances économiques.

Cependant une perspective d’ouverture des marchés suscite à juste titre des appréhensions. Il ne faut pas perdre de vue que l’écart qui sépare les acteurs économiques africains des autres acteurs mondiaux est immense. Raison pour laquelle, un protectionnisme qui viserait à aider une force industrielle et des entreprises à se consolider, est nécessaire. L’économie mondialisée n’a de sens que si elle s’effectue entre partenaires dont le poids peut entrer en compétition sinon nous assisterons à une mise sous tutelle des économies du Sud par des organismes aux mains des pays du Nord.

Aujourd’hui, les pays d’Afrique ont conscience d’avoir à surmonter de nombreux obstacles sur la voie de la mondialisation notamment la faiblesse de leur capacité à mener à bien les négociations à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) où ils représentent pourtant le tiers des pays membres. La dimension régionale des économies africaines constitue une voie qui mérite d’être érigée en point de départ d’une mondialisation qui viserait au développement du commerce et des investissements.

Exister dans un monde complexe

Comment exister dans un monde multipolaire dans lequel une seule puissance, les Etats Unis tentent d’imposer, de s’affirmer et de s’assumer comme puissance mondiale à volonté hégémonique? Tel semble être un des défis majeurs des états africains.

Ces derniers souffrent d’un manque de crédibilité certain. En effet comment croire aux professions de foi d’une « Afrique qui prend son destin en main » quand on voit parmi ses représentants toujours plus d’autocrates et de bâtisseurs de palais de marbre que de serviteurs de l’Etat. Cette réalité politique brouille les tentatives mener pour faire
émerger, enfin, l’image d’un continent qui souscrirait aux exigences de la démocratie, au respect des règles économiques et à la « bonne gouvernance ». Un tel contexte affaiblit les volontés africaines de souscrire aux nécessités de participer aux affaires du monde.

L’après 11 septembre traduit un regain d’intérêt des Etats – Unis pour l’Afrique. Il s’agit, pour l’administration Bush, de souligner l’importance des enjeux nergétiques. Le golfe de Guinée fournit déjà 15% du pétrole consommé aux Etats-Unis et pourrait voir son apport augmenter. Il recèle des gisements pétroliers et gaziers normes. Cette zone bénéficie d’un double avantage : sa proximité avec les Etats-Unis et le fait qu’elle soit jusqu’à maintenant à l’abri des troubles majeurs comparés à ceux du Moyen-Orient.

Les Etats-Unis sont devenus subitement très actifs dans cette zone : participation à la formation des forces africaines de maintien de la paix, ouverture d’une ambassade en Guinée Equatoriale, construction d’une nouvelle ambassade dans la capitale nigériane Abuja, financement de l’ordre de 58 millions de Dollars d’ici à 2005 pour sauver les forêts du Gabon, des deux Congo, de Centrafrique, de Guinée Equatoriale d’Afrique du Sud et du Cameroun.

A l’évidence les nations africaines ne l’entendent pas aussi innocemment. Elles s’apprêtent à mettre en concurrence leurs anciens et nouveaux partenaires. C’est ainsi que le président chinois a promis lors de sa tournée africaine de 2002, d’aider le Nigeria à construire des raffineries, à fabriquer des armes légères et à remettre d’aplomb ses chemins de fer. Les négociations ne font que commencer.

Autre outil d’affirmation dans les relations mondiales : le Nouveau Partenariat pour le Développement (NEPAD) Il a été lancé il y a 2 ans par 4 pays : l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Nigeria et le Sénégal. Ces derniers proposent de changer les rapports Nord-Sud en les fondant sur un marché qui, a priori, sied à tout le monde : bonne gouvernance et démocratie contre ouverture des marchés, aide au développement et investissements privés.

Cette initiative a reçu le soutien des bailleurs de fonds, du G8, mais reste subordonnée à des actions concrètes. La clé du NEPAD, celle censée lui apporter crédibilité, est la « surveillance mutuelle ». Chaque pays africain sera soumis régulièrement à un examen par ses voisins de ses progrès en matière de démocratie, bonne gestion, respect et indépendance des institutions judiciaires et droits de l’homme. Ce mécanisme n’a pas séduit tout le monde, seuls 15 pays (l’Afrique en compte 53) ont accepté volontairement de se plier à l’exercice.

La plupart des principes énoncés dans le NEPAD sont déjà inclus dans la charte de l’Union Africaine et jamais respectés faute de volonté politiques et de moyens de contrainte. Beaucoup d’observateurs de la vie politique africaine considèrent encore le NEPAD comme un nouveau « projet », un mythe de plus.

 

Conclusion 

Une telle description de la politique subsaharienne nous oblige à avoir une lecture autre de la situation des pays du continent africain. Nous avons affaire à un espace totalement immergé dans les relations internationales. Ils doivent s’y faire une place par une plus grande participation.

L’Afrique est bel et bien un espace au sein duquel les conséquences des soubresauts mondiaux sont souvent néfastes aux populations. La période des indépendances, la chute du mur de Berlin et les années qui ont suivi n’ont semble-t-il pas apporté de changements majeurs et utiles aux populations africaines. Une répétition (retour à la case départ) incessante ramène toute volonté de projection dans une réalité qui est indescriptible tant elle est désespérée. Pour autant, les populations africaines vivent et continuent de croire à des lendemains meilleurs.


 



Màj : 3/10/07 14:43
 
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