24/02/2005 |
Thierno I. Dia
2005
|
CARTES |
Rencontre avec Thierno
I. Dia autour du cinéma, du cinéma sénégalais
et des cinémas africains
(Thierno est cinéaste sénégalais, il vit à Bordeaux)
Entretien réalisé par Jean Martin Coly le
15/01/2005
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Thierno Ibrahima Dia, réalisateur-producteur
sénégalais. Après mon bac à Dakar, je suis
venu en 1993 à Poitiers faire mes études universitaires.
Je me suis inscrit à l’antenne universitaire du Futuroscope
de Poitiers, pour entamer des études en médiation interculturelle
- communication. Finalement c’est plus vers le cinéma, que
je me suis orienté.
Depuis ma licence de cinéma, je suis ici à Bordeaux, après
avoir été pendant une semaine étudiant en licence
de communication à Rennes. J’enseigne le cinéma à l’université de
Bordeaux 3 où je finis un doctorat en Arts. J’enseigne le
cinéma au Média Centre de Dakar au Sénégal
où je fais un doctorat en Lettres et Sciences Humaines à l’université Cheikh
Anta DIOP de Dakar. Par ailleurs, j’ai été récemment
recruté comme Conseiller Senior Technique par le Gouvernement
du Sénégal et les Nations Unies, en tant qu’expert
expatrié.
De la médiation culturelle au cinéma quels rapports
peut-on faire ?
Je me rappelle toujours d’une anecdote avec une étudiante
de deuxième année de la même promotion que moi au
Futuroscope qui me demandait ce que je faisais et je lui répondais
que j’entreprenais des études de cinéma. On faisait
la même formation mais on n'avait pas la même approche de
ce qu’est le cinéma. Pour moi le cinéma était
central. Tandis que pour elle c’était tout ce qui contribuait
au cinéma qui comptait : la sociologie, la communication, la sémiologie,
etc. Pour moi, tout cela, ne sont que des outils pour lire le cinéma.
D’ailleurs, on était très impliqué dans le
festival Henry Langlois (Poitiers) qui regroupe des films d’écoles
de cinéma. C’est une formation vraiment tournée vers
le cinéma.
Qu’est-ce que le cinéma ?
Pour nous le cinéma c’est d’abord le septième
des arts qui a été baptisé vers 1922 comme tel.
Sa spécificité par rapport aux autres arts est ce qu’on
appelle les trois caractéristiques : mouvement, temps et espace.
Il ne les traduit pas de la même manière que les autres
arts. C’est aussi une façon de traduire la société.
Pendant longtemps, le principal outil d’acquisition de savoir c’était
les livres. Le cinéma tend de plus en plus avec la télévision à devenir
un nouvel outil de connaissances.
Le cinéma est-il un mode de lecture spécifique de la société ?
A part entière ! Par exemple quand on voit Badou boy de Djibril
Diop Mambety en 1970, il montre bien les difficultés des transports
en commun à Dakar. Si l’on remonte un peu plus en amont
la filmographie du même réalisateur sénégalais,
il y a Contras’City,, film dans lequel il décrit le contraste
de la ville de Dakar en pleine phase de fin de colonisation. On y remarque
des bus aux itinéraires « parisiens ». On y voit un
bus n°4 dont le trajet indiquait la direction Hôtel de ville
(de Paris) à Clichy. Il n’y a pas de quartier Clichy à Dakar.
Cela nous permet donc à nous historiens d’avoir une connaissance
comparable à d’autres types d’archives. Ce qui a amené cet état
de fait, c’est un chercheur qui a l’habitude de travailler
avec les archives écrites : l’historien Marc Ferro. C’est
le promoteur de la nouvelle histoire, celui qui a donné une légitimité scientifique
au cinéma, avec Christian Metz qui venait lui de la linguistique
(avec la sémiologie, science des signes et système de signes).
On est passé, avec Ferro et Metz, du statut d’art à quelque
chose véritablement de scientifique.
En fait, le cinéma est un mode d’archive ?
En même temps qu’il conserve, il écrit. Je crois que
c’est Marc Ferro (ou l’historien américain Robert
Allen) qui disait qu’au moment même où on écrit
l’image on l’a déjà en conservation. Ça
ne fonctionne pas seulement pour le cinéma d’ailleurs ;
en histoire classique l’exemple le plus classique (faisons un peu
de tautologie) c’est l’analyse de l’effondrement de
la Troisième République française par Marc Bloch
paru en 1946. Cet ouvrage a été écrit en 1940 environ,
c’est donc un historiè (un reportage, un témoignage,
au sens d’Hérodote, dont l’ouvrage majeur est – mal
traduit – sous le titre Histoires), c’est un regard sociologique
par un historien. Dans ses entretiens avec Loïc Wacquant, Pierre
Bourdieu a bien rappelé que toute histoire est sociologique et
toute sociologie historique. Pour revenir à notre propos, le cinéma
est une certaine manière de décrypter la vie. Michael Moore
dans Fahrenheit 9/11 ne fait pas seulement une chronique, mais il prend
un engagement sur le futur. Son film est clairement pour le futur. Ce
n’est pas seulement « Regardez ce que Bush a fait »,
c’est « regardez ce que Bush pourrait continuer à faire ».
Dans la perspective africaine, l’exemple le plus frappant c’est
en 1974 quand certains Présidents africains ont demandé au
gouvernement du Président Valery Giscard d’Estaing d’arrêter
le soutien de la France aux cinémas africains. Ces dictateurs
trouvaient que le cinéma contribuait à pervertir les bases
autoritaristes qu’ils avaient posées. En ce sens, le cinéma
est un moyen de contournement des verrous.
Peut-on dire que le cinéma déforme la réalité ?
Oui, d’ailleurs quand il a connu son succès le plus grand,
c’est quand il a été utilisé comme moyen de
propagande, tentative de déformer les esprits. Encore une fois,
on va s’appuyer sur l’Afrique, parce que récemment
en discutant avec quelqu’un, j’ai entendu dire que le cinéma
de propagande est naît avec Gobbels, avec les nazis, or le premier
film de propagande est naît avec les Anglais en Afrique du Sud
pendant la guerre des Boers. Là encore, qu’est-ce qu’on
entend par propagande ? Est-ce que c’est la massification de la
propagande nazie qui fait qu’on peut parler d’un effet ou
l’essence même ? La propagande c’est le fait d’avoir
l’intention de corrompre l’esprit de l’autre ; et non
pas le fait de corrompre l’esprit de millions de personnes. A ce
niveau, c’est l’intention qui compte et un grand auteur bordelais
(Jacques Ellul) ne dit pas autre chose, même si je schématise
un peu là sa pensée.
Le cinéma a-t-il un rôle politique ?
Une opinion connue dans ses extrêmes abjects dit qu’on ne
voit que l’histoire de la « Shoah » dans le cinéma
dominant. Mais on a besoin de ce rappel. On a besoin de nous remémorer
ce que la barbarie de l’homme peut être, avec les nazis,
au Rwanda et dans les champs de coton aux États-Unis. Dans ce
sens, c’est de l’engagement, c’est de l’engagement
qui peut par moment communier avec un cinéma qui se veut divertissant.
Mais pour nous, dans tout film il y a un message. Je me rappelle d’un
des passages de Wesley Snipes sur le plateau de « Nulle part ailleurs » (Canal+) à propos
de son film Blade quand on lui a demandé quel est le message du
film ; sa réponse est déroutante : no message just fun
(« pas de message juste du fun, du plaisir »). Un film ce
n’est pas que du fun, ce n’est pas que du plaisir, c’est
aussi un message. Il y a toujours quelque chose, il y a toujours une
morale. Ce qui est prégnant dans nos cinémas africains,
c’est que ce message là, est parfois très lourd.
C’est ce que fait d’une certaine manière Ousmane Sembène
(Sénégal), au risque de se couper d’une partie du
public potentiel. Pour lui, le message vient avant le fun, l’esthétique,
or le spectateur ne vient pas au cinéma pour se faire marteler
la tête sauf s’il est déjà convaincu ; parce
que le cinéma est catharsis aussi.
Est-ce que finalement l’engagement du cinéaste
ne tue pas l’aspect « fun » ?
Il y a des équilibres qui peuvent se faire. On peut être
politiquement engagé et toucher le grand public. Mais ce n’est
toujours le cas. Cela pose aussi le sens de ce qu’est un film politique.
Est-ce que c’est le sujet, les acteurs, le contexte, l’intrigue
? Pour moi, l’un des plus grands films politiques de ces dernières
années c’est Karmen Geï (par Jo GAÏ Ramaka). Le
réalisateur adapte le roman de Prospère Mérimet
(mis en opéra – le plus joué au monde, soit dit en
passant – par Georges Bizet) pour créer une intrigue typiquement
sénégalaise en 2001. Ce film s’attaque à la
corruption des élites politiques sénégalaises, non
pas de façon frontale mais en lui injectant de l’amour.
Ce film s’attaque au monde politique pourri avec une introduction
assez forte dans laquelle les propos consistent à dire aux hommes
politiques que : Yéna lekk dëkk bi (« c'est vous qui
avez mis le pays à terre »). Pour cela, elle (Karmen) s’attaque
au maillon faible du système administratif, un policier, qu’elle
va rendre fou d’amour, puis fou tout simplement. La police dans
nos pays est vraiment le garant de « l’ordre » (et
du désordre) politique. Peut être qu’à ce niveau
là, on peut comprendre la censure dont a été l’objet
ce film.
Existe t-il un cinéma africain ?
Oui, mais il n’y a pas qu’un cinéma africain, il y
a des cinémas africains. Et ces cinémas africains là existent.
Il y a la célèbre formule de André Malraux dans
Psychologie du cinéma où il dit : « Par ailleurs
le cinéma est une industrie ». Donc c’est un art,
mais c’est aussi une industrie. Le cinéma demande de l’argent.
C’est pour cela qu’il faut toujours revenir au discours proposé.
Si le discours est trop martial, il n’est pas susceptible de rencontrer
son public, on ne rentre pas dans ses frais. On n’est pas là dans
un délire de liberté d’artiste. Il y a un moment
où il y a un équilibre qui doit se faire entre l’expression
artistique et les réalités économiques. Pour moi
un cinéma viable c’est un cinéma qui s’intéresse
non pas au nombril du réalisateur mais à un public qui
est capable d’aller voir ce film
Donc il y a des attentes au niveau des publics africains ?
Totalement. Dans le cadre de mes travaux universitaires, j’ai fait
des enquêtes de terrain au Sénégal. Les publics africains
sont friands, quand on leur propose du cinéma, ils sont d’accord.
C’est vrai qu’au début il y a des réticences.
Or on n’échappe pas à cette catharsis qu’on
recherche en tant que spectateur et que l’on retrouve aussi dans
le théâtre. Si c’est notre quotidien très banal,
on ne va pas s’évader. Car aussi il faut le dire, un long
métrage dure 90 mn qui est le cycle d’un sommeil. C’est
une sorte de phase d’endormissement, certains parlent d’hypnose,
de noir ; même si les publics en Afrique ne sont pas engourdis,
ils parlent, ils applaudissent, ils rient de bon cœur, pas seulement
au Sénégal d’ailleurs, car plusieurs autres chercheurs
ou critiques de cinéma ont noté le même phénomène
un peu partout en Afrique. Au Fespaco (Festival Panafricain du Cinéma
de Ouagadougou, Burkina Faso) quand des films sont projetés dans
des stades de 46.000 places il n’y a pas toujours suffisamment
de places pour tout le monde. Cela on ne le dit pas assez, si bien qu’il
y a parfois une vision très caricaturale portée par des
journalistes européens qui pensent que les Africains ne sont pas
demandeurs de cinéma de qualité, voire de cinéma
tout court. Il ne faut pas non plus oublier que l’on a besoin de
s’identifier aussi aux acteurs/actrices. Dans la narratologie,
la psychologie du spectateur, cette identification est centrale, et dans
le contexte de l’Afrique, il y a une frustration des publics qui
ne retrouvent pas leur quotidien, leurs référents.
Comment expliquer alors l’inexistence des cinémas
africains?
Quand on fait un film, il y a ce qu’on appelle des caisses, des
tiroirs caisse où l’on va chercher l’argent. Dans
ces « caisses », certaines excluent les histoires africaines
qui se passent hors d’Afrique. Une « histoire africaine » qui
se passe à Paris ne peut avoir accès à certaines
caisses, cas logique du dernier film du Guinéen Cheik Doukouré (Paris
selon Moussa) qui raconte une histoire qui se déroule en Afrique
et en Europe. Pour les tenants de ces "caisses", une « histoire
d’Africain » ne peut se passer qu’en Afrique. Cela
je l’ai entendu. Un grand producteur me l’a dit « franco ».
Donc on nous contingente. Notre cinéma vivant sous perfusion,
certains réalisateurs ne se cassent pas la tête pour rentabiliser
leur film, car eux ont été payés. Mais on ne peut
leur jeter la pierre, car cela souligne en fait le cruel manque de producteurs
en Afrique. Ceux que l’on voit, ce sont des réalisateurs
obligés de devenir producteur-réalisateur pour boucler
leur budget et faire leur film. Presque tous, dont moi, sont réalisateur-producteur,
mais sans une réelle démarche de producteur (là je
ne m’y inclus pas, car au-delà de mes films je souhaite
très vite produire ou coproduire d’autres réalisateurs).
Finalement ce sont des décideurs pas forcément au fait
des situations locales qui décident des orientations cinématographiques
?
Oui, et c’est à ce moment là quand on propose un
produit qui n’est pas calibré qu’on observe des divorces
avec le public dit africain. Le public africain n’est pas dupe.
Il se dit, on est trop dans la caricature. On est censé traduire
ma vie à moi, mais ça c’est pas ma vie. Et s’il
y a divorce entre ces cinémas africains et leurs publics c’est
justement au niveau de ces films caricaturaux trop axés modernité contre
tradition ; comme si l’Occident n’avait pas de modernité ou
de tradition. La modernité et la tradition sont des mouvements
universels qui existent dans toutes les sociétés (et ne
s’opposent pas). Pour moi vouloir insister sur les traditions est
forcément malsain. Cela les publics africains ne le veulent pas.
Tous les publics sont intelligents, d’où le fait que certains
films ne marchent pas malgré toute la mécanique qu’on
met derrière.
Il y a donc un gouffre entre des productions et les publics
concernés
par les œuvres ?
Totalement, Gilles Jacob qui est le directeur du festival de Cannes dit
au début des années 90, « c’est fini le paternalisme,
on ne doit plus prendre les films africains à Cannes ».
Or qui était à la tête du festival de Cannes depuis
le début ? C’était Gilles Jacob ! Qui était
paternaliste ? C’était Gilles Jacob. Est-ce qu’on
lui a demandé d’être paternaliste ? Jamais ! C’est
assez malsain en plus de dire ce genre de chose parce qu’il y a
eu à une époque des mécanismes de sélection
obligatoire ; c’est à dire qu’un pays doit être
représenté et il choisit son film national. Maintenant
la procédure a changé. Effectivement Gilles Jacob et des
gens de pouvoir comme lui ont fait du paternalisme en mettant en avant
des cinéastes de piètre qualité parfois. Il faut
aussi oser le dire, tout n’est pas bon dans nos cinémas.
Mais la doxa n’aime pas les trop fortes personnalités. On
le voit avec le cas de Idrissa Ouédrago qui dès le moment
où il a eu les moyens de ses ambitions a réalisé Kiné Adams
en anglais. Retour de bâton : depuis lors, il n’émerge
plus. Aux delà des publics africains, les publics occidentaux
ont eux l’avantage de voir ces films, même si c’est
souvent grâce aux festivals, dans le circuit classique (salles
et télévision), les journalistes.
Quel avenir pour ces cinémas africains ?
Au mois d’août 2004, Mansour Sora Wade (réalisateur
sénégalais qui a réalisé entre autres Le
Prix du Pardon en 2001) a accordé deux interviews pour protester
contre le fait que dans le Conseil de la République du Sénégal,
il n’y ait pas de cinéastes. D’emblée, il a
mis l’accent sur une représentation politique. Les cinéastes
africains de manière générale pensent que ce sont
les politiciens qui vont nous sortir du marasme. Or dans tous les cinémas
du monde, le cinéma ne s’est financé que par le cinéma.
Si le cinéma français résiste contre le rouleau
compresseur du cinéma américain, c’est parce qu’il
y a des mécanismes de re-financement du cinéma par le cinéma
et l’État français qui responsabilise (et respecte)
les professionnels du cinéma. Le politique encadre simplement
sans servir de tiroir caisse. Au Sénégal nous avons connu
un scandale politico-financier : c’est l’histoire du compte
K2. Il servait à arroser les politiciens, les marabouts mais aussi
les cinéastes. L’Etat par delà, en étant producteur,
s’est octroyé la possibilité de verrouiller toute
critique. On en a vu les conséquences avec Mandabi (Le Mandat)
et Xala, tous deux de Sembene Ousmane. L’Etat sénégalais, étant
producteur, s’est permis de censurer certains passages ou de bloquer
certaines productions.
Qu’en est-il de la formation des cinéastes africains
?
Je lisais la dernière interview de Eulzan Palcy cinéaste
antillaise qui disait qu’avoir une formation dans une école
de cinéma, c’est toujours bien. Mais elle ajoutait, à juste
titre, que le cinéma s’apprend véritablement sur
le tas, sur le terrain. Les cinéastes africains dans l’ensemble
ont très peu de temps de tournage à l’année.
Le Sénégal, dans ses très bonnes années produit
un ou deux films maximums par an, donc il y a très peu de possibilités
de pratiquer, d’apprendre. Il y a eu des embryons d’écoles
comme « PBS » Pape Badara Seck qui a monté une école,
mais dès que l’Union Européenne s’est retirée,
l’école s’est fracassée. Depuis sept ans il
y a le Média Centre de Dakar qui existe mais qui n’a pas
encore vraiment fait sa mue. Il forme l’essentiel des professionnels
de l’audio visuel et du cinéma, mais la formation reste
encore à solidifier. On est en train de trouver des solutions à cela.
Actuellement le seul cinéaste documentariste sénégalais,
Samba Félix Ndiaye tente de s’engager dans la formation
des futurs acteurs du cinéma sénégalais. Cela il
le fait en rapport avec des partenaires internationaux. Son projet consiste à faire évoluer
le Média Centre comme une vraie école de formation du cinéma
du réel avec des moyens dignes de professionnels. Parallèlement,
deux festivals se sont montés qui prennent progressivement la
place du RECIDAK, festival institutionnel mis en place par l’Etat
sénégalais, l.
Il n’y a pas que le Sénégal, il y a des initiatives
au Burkina Faso avec le PROFIS qui s’est transformé en institut
de formation professionnel. Il y a les Ateliers Fiwe, une école
qui s’est montée au Bénin, il y a aussi, toujours
au Bénin, l’ICO (Institut cinématographique de Ouidah),
qui va se monter. Il y a aussi au Ghana le NAFTI. Il y a aussi en Afrique
du Sud des écoles. Malheureusement avec ce cloisonnement francophone/anglophone
on n’a pas toujours les informations. Il y a des initiatives qui
existent et qu’il ne faut pas négliger.
Y a t-il suffisamment de salles de cinéma en Afrique
?
C’est un très grand problème. Si nous prenons le
cas du Bénin et du Sénégal, derrière le Média
Centre de Dakar et l’atelier Fiwe ainsi que l’ICO, il y a
toujours un projet de salle de cinéma. Tous les projets cités
s’inscrivent dans une démarche de construction de salles.
Jean Odoutan, producteur, attaché de presse, réalisateur,
acteur, musicien, promoteur de l’ICO, est très actif dans
ce sens. Il a compris qu’il ne faut pas attendre d’engagements
de l’État. Finalement, pourquoi il n’y a plus de salles
? En prenant le cas du Sénégal, les problèmes ont
commencé en 1998 quand l’État s’est désengagé de
la SIDEC (Société d’Importation), société qui
s’occupait de la gestion des salles de cinéma. Il faut le
rappeler, cette entreprise réussissait à l’époque à rentabiliser
un film comme Baks sur le territoire sénégalais. La SIDEC
dégageait des bénéfices de plusieurs milliards.
Ces rentrées d’argent étaient d’autant importantes
que la SIDEC s’occupait aussi de la gestion des salles de projection
au Mali et en Mauritanie. Et donc, il y avait un cinéma rentable.
Mais dès le moment où l’État sénégalais
a cafouillé dessus, tout le système s’est effondré.
Au-delà ce n’est pas seulement le rôle de l’État
qui est en cause. Au début des années 90, il faut remarquer
que c’est la période qui correspond à la montée
de la presse privée. Qui dit presse privée dit recherche
de subventions et recherche de moyens d’existence. Or l’information
cinématographique est devenue payante. Il y a eu une conjonction
entre cette privatisation de l’économie culturelle et ce
désengagement de l’état. Ce qui a entraîné la
disparition des acteurs du cinéma. Actuellement ce sont les cinéastes
eux-mêmes qui tentent de régénérer ce mouvement.
Souleymane Cissé dont on n’entend plus parler est entrain
de faire un travail avec le concourt des professionnels du cinéma
d’Afrique de l’Ouest.
Finalement les États ont tué cette industrie cinématographique
qui a fait ses preuves ?
Si je peux prendre un exemple ce serait hors du cinéma à savoir
la télévision. Le Sénégal que l’on
classe comme le point d’entrée de la colonisation a bénéficié de
toutes les installations audiovisuelles occidentales. C’est aussi
le cas pour la radio, RFI s’est d’abord installée
au Sénégal. De ce point de vue je pense que les destins
se ressemblent entre le Sénégal et la France. En France
c’est la télévision qui finance le cinéma.
Jamel Debouze, Sami Nasri et Rachid Bouchared (qui a réalisé Little
Sénégal ) réalisent un film sur les tirailleurs
d’Afrique du Nord (« l’indigène »). Ce
film qui raconte l’histoire des tirailleurs nord africains n’a
pas pu se faire sans France télévision et TF1 vidéo
pour un budget de 15 millions d’euros. S’il n’y avait
pas la télé ils n’auraient pas pu trouver ailleurs
cet argent. Donc cette coopération entre deux médias concurrents
n’est pas possible au Sénégal parce que le président
Abdoulaye Wade est le premier à dire que la télévision
est un outil trop dangereux pour la laisser entre les mains de tout le
monde. En même temps on accorde une licence à Canal Horizon
(France) et à des chaînes maghrébines. On en revient à la
structure politique. Ces médias là proposent des images
qui ne sont pas produites sur place. Ils sont donc moins dangereux que
le cinéma et la télévision nationale. La politique
a sabordé la culture. Les rapports entre les politiciens et les
productions culturelles internationales sont très très
flous. A ce niveau la responsabilité du politique est totale sur
la situation des cinémas africains.
L’Etat joue en fait un jeu pervers entre sabordage et
chantage ?
Les acteurs du cinéma se font récupérer. On se rappelle
que l'un des plus important propagandiste d’Abdou Diouf sur le
déclin c’est Cheikh Ngaïdo Bâ. Ce dernier est
officiellement réalisateur. Il a, de par sa capacité à formuler
certains choses, tenté d’influer sur les populations sénégalaises.
Il s’est mis au service du politique. Récemment, nous avons
vu Moussa Sène Absa pousser une brouette jusqu’à la
présidence de la république pour remercier les autorités
de leur soutien. Mais qu’est-ce qu’ils ont fait pour le cinéma
? Rien ! Il y a aussi une responsabilité des acteurs. Qu’est-ce
qu’ils sont prêts à accepter ou pas ? Je pense qu’actuellement,
faire croire à l’autorité politique qu’elle
est incontournable, est dangereux à la fois pour le cinéma
et pour les rapports qui existent entre cinéma et politique. Il
faut clairement marquer notre indépendance et dire qu’on
doit rester libre. Pour moi actuellement le cinéaste est dans
la position du griot. L’impertinence du griotisme c’est le
cinéma qui le détient. Dans le terme impertinence il y
a pertinence. Etre impertinent n’empêche pas d’être
pertinent.
La question des langues de communication des cinémas
africains ?
Prenons l’exemple de Thomas Vinterberg. Ce dernier est danois,
il réalise un film Festen qui marche au niveau international.
Sotigui Kouyaté dans Ziya le rêve du python utilise le mandingue
comme langue de communication. Le mandingue comme le peul touche au moins
200 à 300 millions de locuteurs en Afrique ; avec tout le respect
que j’ai pour le Danemark, je ne pense pas que le danois soit parlé par
plus du double des dix millions de Danois. Est-ce que la fortune de ces
deux films vient intrinsèquement du poids linguistique ou des
mécanismes socio-économiques qui prévalent dans
le cinéma ? Je crois que c’est plutôt la seconde hypothèse
qu’il faut retenir. Les barrières de réalisation
sont telles que le film de Kouyaté a en fait peu de chances de
connaître le succès international. Conséquence, de
nombreux cinéastes africains optent pour une position intermédiaire.
Jean Odoutan se dit cinéaste français du Bénin.
Du coup ses films se déroulent en France et non exclusivement
sur le sol africain comme on l’exigerait d’un cinéaste
africain. Cela pose la question du comment on qualifie l’autre
? A quel moment l’autre devient soit-même ? On dirait que
l’on veut tenir la culture africaine à distance. La culture
africaine ne peut pas être l’une des oubliées du cinéma.
Finalement un cinéaste africain qui veut travailler et vivre
de son art est contraint de s’exiler ?
A cause du fait bi culturel. Si Jean Odoutan n’était pas
français et béninois ou béninois et français
je ne pense pas qu’il aurait une telle liberté de production.
Tous les réalisateurs qui marchent sont des producteurs. Abderrahmane
Cissoko qui marche possède sa propre boîte de production
qui est basée à Paris. C’est aussi le cas de Jean
Odoutan. Jean Marie Théno aussi possède sa propre boîte
de production. Par le fait d’avoir un pied en France, ces derniers
se créent leur propre autonomie. Il y a un mécanisme très
vicieux que l’on ne connaît pas. Les caisses dont je faisais
cas plus haut ne donnent presque jamais d’argent à un producteur
africain. Elles exigent que le producteur soit français, ce que
nous nommons le producteur délégué. Le producteur
délégué est celui qui engage la production. C’est
lui qui reçoit tout l’argent, qui centralise le travail.
C’est le cerveau de la production et les autres peuvent être
exécutifs. Cela me permet d’évoquer le cas de Souleymane
Cissé qui a eu maille à partie avec Daniel Toscan du Plantier
qu’il a accusé nommément d’avoir détourné l’argent
que lui Malien a glané mais qu’on lui a exigé de
mettre entre les mains de ce producteur français pour son film
Waati (Mali/France, 1994). Cheikh Doucouré a dit la même
chose à propos de son dernier film (Paris selon Moussa). Il a
commencé son film, et le producteur qu’on lui a imposé s’est
barré avec l’argent. Là aussi nous avons affaire à des
mécanismes socio-économiques. Pourquoi un producteur français
serait-il plus crédible qu’un producteur sénégalais,
malien ou burkinabé ? Il se pose aussi le problème du comment
on nous perçoit ? Comment on travaille ? Des brebis galeuses on
en trouve dans toutes les nationalités. Les films bloqués
pour des raisons de procédures (pour ne pas dire de conflits ouverts
et violents avec les producteurs européens) sont légions
Mossane de la Sénégalaise Safi Faye est resté bloqué dix
ans pendant que la réalisatrice se battait devant les tribunaux
français pour récupérer son film. Même s’il
faut rendre hommage aux producteurs européens (passionnés
de cinéma tout court) grâce à qui nos cinémas
africains ont le mérite d’exister.
L’avenir des cinémas africains ne se situe t-il
pas tout simplement en Europe ?
Tant que nous n’aurons pas de films de cinéastes africains
(Jean Marie Théno, Hamet Fall Diagne), à 20 heures en prime
time sur les écrans français et européens à la
place de Fatou la malienne film caricatural, je dirai que cette représentation
n’est pas encore là. C’est ce que Issac de Bankolé suppose
quant il dit que si on applaudissait les films africains autant que les
navets américains, là on aura atteint une véritable
exposition médiatique. Mais il faut aussi noter que la période
des festivals et certaines salle comme le Jean Vigo à Bordeaux
diffusent des films africains. On a du travail à faire parce qu’il
y a un attendu qui est là. On se représente l’africain
d’une façon très particulière. Les africains
sont cantonnés dans des rôles ou des productions « africaines ».
Il y a un ensemble de perceptions qui sont là et que l’on
n'arrive pas à dépasser. Il nous faut « jardiner » le
public afin de l’amener à avoir une autre perception du
cinéma africain.
Comment expliquer ce fait, à savoir que dès que l’on
parle d’Afrique on nous renvoie de la caricature ?
Parce qu’après le J.T. en France on nous présente
des hommes blancs, échoués sur une plage, face à des
hommes noirs qui ont le projet de les manger après l’apéritif
que les bons hommes blancs leur ont offert. Ces images restent dans les
inconscients collectifs. A ce propos avec des collègues nous avons
fait circuler une pétition. Il nous a été répondu
que c’est de l’humour. Or on sait d’où vient
la caricature « nègre cannibale ». Pourquoi ce cannibale
là n’aurait pas pu être blanc, jaune ou violet ? Il
y a un vrai problème. Dès le moment où ce genre
de représentations qui perdurent sont légitimés
par le bureau de vérification de la publicité qui estime
que c’est de l’humour, je ne sais jusqu’où peut-on
aller ? Lorsque Jacques Chirac gagne les élections présidentielles
avec 82% on le montre avec un os dans le nez, un pagne en peau de léopard
avec une sagaie. On le présente en disant, voilà l’image
du jour, le Président Jacques Chirac a gagné avec un score
de président africain. Là, il y a problème parce
que sous prétexte d’humour, on ne fait que remâcher
les caricatures au lieu de les combattre. Dans ce sens, le rappel le
plus fort est contenu dans le mot intégration qui nous renvoie
sans arrêt à une position marginale. C’est le comble
de l’absurde. En tant que sénégalais je ne me perçois
pas comme quelqu’un qui doit s’intégrer. Comme le
disait Césaire : « Je ne m’accommode pas de vous,
je vous demande de vous accommoder de moi ». Ce discours là,
le cinéma peut le porter.
Quels sont tes projets en cours ?
J’ai un projet de film sur l’histoire politique sénégalaise.
C’est un long métrage qui est un peu en pause parce que
je dois aussi avancer dans mes travaux universitaires. Je dois satisfaire à certaines
exigences universitaires en matière d’encadrement et de
formation des étudiants. Le film est actuellement en retrait,
mais j’ai la volonté avec le soutien de certains professionnels
de le mener à termes cela avant les prochaines élections
sénégalaises de 2006-2007. Je souhaite apporter une autre
voix au scénario en cours dans l’espace politique sénégalais.
|