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ÉCONOMIE, HISTOIRE

 


25/01/05

Jean Martin Coly

19 janvier 2005

CARTES

La présence française en Afrique subsaharienne : une colonisation constante.

De la « mission civilisatrice » au temps de la colonisation, à la « coopération militaire » avec les accords bilatéraux de défense, l’impérialisme français a toujours considéré l’Afrique comme sa chasse gardée. Il faut prendre en compte l’espace constitué par l’ancienne A.O.F Afrique Occidentale Française et l’A.E.F Afrique Équatoriale Française.

Le maintien de 5 000 soldats français déployés en Côte d’Ivoire s’inscrit dans la continuité de cette politique coloniale française.

Hier, la colonisation se justifiait au nom d’une prétendue mission civilisatrice, aujourd’hui, les tenants de cette thèse explique la présence militaire française par la volonté de cet état d’assumer ses responsabilités, toutes ses responsabilités.

Mais qu’en est-il de cette soi-disant œuvre civilisatrice ? Et quelles responsabilités la France doit-elle assumer sur le continent africain ?

Une mission civilisatrice à coups de fusil et de pillages.

En 1958, à la veille de l’indépendance de la plupart des pays de l’A.O.F, la création d’écoles, de dispensaires et d’hôpitaux est dérisoire au regard des besoins des populations.

Dans l’éducation par exemple, le taux de scolarisation est de 4% en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) pour une population de près de quatre millions d’habitants, 8% au Mali, 3% au Niger, 3% au Sénégal, 4% au Tchad. Toujours en 1958, la Cote d’Ivoire comptait 23000 élèves pour 69 établissements scolaires.

Le domaine des soins hospitaliers se trouve dans la même situation. Médecins et infirmières sont trop peu nombreux pour satisfaire aux besoins locaux. Seule une infime minorité (ceux qui habitent la  capitale et les milieux proches des colons) bénéficie de soins réguliers. Des campagnes de vaccination existent, mais elles ne sont mises en œuvre que lors des épidémies donc trop épisodiquement.

De la France, les masses africaines ont surtout connu le travail forcé pour construire les routes et chemins de fer, le recrutement de la main d’œuvre s’apparentent souvent à une chasse à l’homme. Il faut rappeler que ces infrastructures sont construites pour satisfaire aux besoins des entreprises françaises. Elles ont surtout servi à transporter vers les ports côtiers les matières premières agricoles et minières que ces entreprises pillaient. À aucun moment, la volonté des colons n’a été de désenclaver les régions, de favoriser la prospérité des populations ou de faciliter les échanges commerciaux et culturels entre les peuples.

L’objectif économique de la colonisation reste le pillage des ressources agricoles, minières et humaines d’un continent au profit de la France. Le tracé des chemins de fer construits le montre bien. Il en est ainsi des chemins de fer construits entre Zouerate et Nouhadibou en Mauritanie, de celui entre Bamako et Dakar, du Sénégal au Mali ou de celui entre Ouagadougou et Abidjan, du Burkina Faso à la Côte d’Ivoire. Le procédé est le même pour le chemin de fer de Brazzaville à Pointe-noire au Congo. Il s’agissait d’assurer les moyens de transport des richesses extraites (phosphates, cuivre, coton, cacao, arachides, etc.) des zones d’exploitation aux ports d’exportation vers la France.

L’impérialisme français a saigné à blanc le continent africain. Les populations africaines (A.O.F et A.E.F)  ont été spoliées de leurs meilleures terres au profit des grandes compagnies françaises. L’enrichissement de ces dernières a été d’autant plus rapide qu’il était basé sur du travail forcé, le travail gratuit des populations colonisées. Les paysans maliens, par exemple, ont payé un lourd tribut en travaillant gratuitement aux constructions (barrages et digues) de l’office du Niger qui devaient irriguer des terres produisant du coton au profit des industries textiles de la France. La situation est la même pour les paysans d’Afrique équatoriale qui sont morts par dizaine de milliers pour construire des voies de chemin de fer. Il a fallu attendre 1946 pour que le travail forcé soit enfin aboli. Pour mémoire l’ONU l’abolit en 1930.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le colonialisme français se heurte à la volonté des peuples africains de se libérer de la tutelle française.

A partir de 1958, la France sous l’impulsion de De Gaulle organise l’indépendance formelle de ses anciennes colonies d’Afrique Noire. Ce qui ne l’a pas empêché d’intervenir régulièrement pour éliminer les leaders nationalistes qui ne lui convenaient pas. C’est le cas de Sylvanus Olympio au Togo ou Ruben Um Nyobé au Cameroun assassinés car jugés trop radicaux. Dans l’ex-« Congo belge », la C.I.A (américaine) fait assassiner Patrice Lumumba et installe Mobutu au pouvoir. Ce dernier deviendra par la suite l’un des protégés de la France.

En s’appuyant sur son armée présente, la France installe des régimes fantoches et met à leurs têtes des hommes corrompus liés à l’impérialisme. En Côte d’Ivoire, Houphouët Boigny fait torturer et assassiner ses opposants. Au Gabon, Omar Bongo, en fidèle serviteur de la France veille à l’exploitation des puits de pétrole par Elf-Aquitaine, et n’hésite pas à réprimer dans le sang les révoltes de son peuple. Au Togo, Gnassingbé Eyadéma, ancien sous-officier de l’armée française fait régner une dictature des plus sanglantes. En République Centrafricaine, l’Etat français s’assure les services d’un autre sous-officier, Jean Bedel BoKassa dont les crimes sur son peuple sont aujourd’hui connus.

En fait, ces indépendances octroyées introduisent une nouvelle donne dans la présence française en Afrique, celle des interventions militaires qui va permettre de conserver une présence industrielle de monopole et sauver la mise à ses amis dictateurs. Parmi les groupes industriels à « protéger », il y avait et il y a toujours de grands trusts comme Total-Fina-Elf qui pillent le pétrole congolais et gabonais, Bolloré, Bouygues leader sur le marché des travaux publics, sans oublier les grands groupes bancaires et d’assurance qui de la BNP au Crédit Lyonnais en passant par leurs multiples filiales ont pris le contrôle des circuits financiers de la région.

Les incessantes interventions de l’armée française.

La liste des interventions de l’armée française en Afrique noire est longue. Entre 1960 et 1963, l’armée française écrase la rébellion des Bamilékés. Cette « pacification » du Cameroun (expression des militaires français à l’époque des faits) fit entre 150 000 et 300 000 morts. A la même époque, l’armée française écrase la révolte des Bété en Côte d’Ivoire. Deux ans plus tard, c’est au Gabon d’être le terrain d’une intervention de l’armée française. Elle s’installe dans ce pays pour remettre en selle le président Léon M’ba en difficulté. Les troupes françaises  sont restées au Gabon pour « protéger » les intérêts des sociétés françaises dans le pétrole, l’uranium, le manganèse et le bois précieux. Elles se sont occupées au passage de la protection du successeur de M’ba, un certain Albert Bernard Bongo, futur Omar Bongo.

En 1968, l’armée française appuie le dictateur Tombalbaye au Tchad pour mater la rébellion du Tibesti. Dix ans plus tard après bien d’autres interventions en terre africaine, l’armée française prend le contrôle à « titre humanitaire » de la ville de Kolwezi située dans la province du Shaba (ex Katanga) au Zaïre. Cette région en révolte contre le pouvoir central présente l’avantage d’être riche en métaux. A l’époque cette intervention est justifiée par la nécessité de « sauver la vie des ressortissants français et étrangers ». En fait le but véritable fut de consolider la dictature de Mobutu et d’écraser la rébellion qui menaçait le Shaba.

Nouvelle intervention de l’armée française au Togo en 1986, au Gabon en 1990, pour « assurer la protection du personnel » de la compagnie Elf disait-on, mais surtout pour mater les émeutes des populations gabonaises et faire en sorte que les profits coulent à flots dans les caisses du groupe pétrolier. Les interventions françaises se succèdent sans répit au Tchad au cours des années 70, 80, 90. A chaque fois il s’agissait de soutenir le pouvoir du moment.

De 1990 à 1994, les différentes opérations militaires françaises au Rwanda eurent pour objectif de soutenir la dictature du président rwandais Habyrimana, ami de François Mitterrand, puis de sauver les débris de son appareil d’état après le génocide des Tutsis.

En 1997, l’armée française écrase une énième rébellion de l’armée centrafricaine qui menaçait le pouvoir de l’homme fort de Bangui, Ange Félix Patassé, lui aussi un protégé de l’Elysée.

Enfin, dernière opération militaire en cours, l’ « opération Licorne », forte de cinq mille hommes en Côte d’Ivoire dont la tragédie se déroule encore sous nos yeux. L’armée française serait présente en Cote d’Ivoire pour « assurer la sécurité des ressortissants français et étrangers » nous dit-on. En fait, l’armée française s’est déployée sur le territoire  ivoirien en s’octroyant un rôle de police locale. Ce positionnement fut d’autant plus facile qu’elle est présente de façon continue en Côte d’Ivoire par les accords bilatéraux de défense. Le fameux mandat de l’ONU n’a été obtenu que par la suite après que la France ait commencé de façon autoritaire à « assurer la protection de ses ressortissants ».

Le point commun entre toutes ces interventions en Afrique ? L’armée française a toujours prêté main-forte à des dictatures sanglantes qui ne doivent leur maintien qu’à sa présence. La protection des ressortissants et des intérêts économiques français reste un faux prétexte du maintien permanent d’une présence militaire. En fait, il s’agit d’assujettir des populations et de maintenir le chaos permanent dans certains pays africains au profit des intérêts des groupes commerciaux, industriels et financiers français en Afrique.

Les juteuses affaires du groupe Bolloré.

Le groupe Bolloré, contrôlé majoritairement par la famille Bolloré qui figure parmi les deux cent cinquante premiers groupes européens, tire une grande partie de ses bénéfices de ses activités dans le transport et la logistique et étend son contrôle sur les chemins de fer africains.

Aujourd’hui, le groupe Bolloré exploite par sa filiale Sitarail le chemin de fer reliant Abidjan (Côte d’Ivoire) à Ouagadougou (Burkina Faso). Il contrôle aussi depuis le 1er juillet 2003 le réseau ferré Nord de Madagascar qu’il exploite par sa filiale Madarail.

Le groupe français lorgne désormais sur le chemin de fer Congo Océan (CFCO) qui relie Brazzaville, la capitale du Congo, au port atlantique de Pointe-Nord. Il est associé pour l’occasion au groupe danois Maersk ainsi qu’à la SNCF International et au sud-africain Lonmazar, dans le groupement baptisé Longarail.

Il ne faut pas oublier que la quasi-totalité des chemins de fer africains fut construite au début du XXe siècle durant la période coloniale. Pour ce faire le travail forcé a été érigé en règle de recrutement. Beaucoup d’africains y laissèrent leur vie. 

A partir de l’indépendance des pays africains, dans les années soixante, l’exploitation des chemins de fer fut confiée à des organismes étatiques. Ils ont privilégié le transport des marchandises s’inscrivant ainsi dans la continuité de la gestion économique mise en place par les colons. Des années 70 aux années 80, ces lignes ferroviaires connurent des difficultés faute de moyens financiers pour les entretenir mais aussi faute d’être gérées correctement par les autorités africaines.

À la fin des années 90, beaucoup d’états africains décidèrent de laisser la concession de leur réseau ferré à des groupes étrangers. Ainsi le groupe Bolloré se vit confier l’exploitation du chemin de fer Abidjan Ouagadougou en 1994 pour une période de 15 ans renouvelable tous les cinq ans. Si Congorail devait emporter la concession Congo-Océan, le groupe Bolloré se retrouverait en situation de quasi-monopole sur les transports ferroviaires en zone africaine anciennement sous influence française.

Quarante ans après « l’indépendance » des états africains, l’exploitation des ressources par les grandes sociétés des « pays riches » continue presque sous la même forme. Il est important de rappeler que cette situation n’a perduré qu’avec la collaboration des régimes africains post-coloniaux.


 



Màj : 3/10/07 14:43
 
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