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HISTOIRE, SOCIÉTÉ

 


25/01/05

Jean Martin Coly

20 janvier 2005

CARTES

L’identité

L’identité est multiforme. On l’utilise dans des circonstances aussi différentes que l’élaboration de la personnalité d’un individu, la défense des intérêts de groupe ou la désignation d’appartenances collectives. Cette notion n’est plus considérée comme une substance, comme un attribut immuable individuel et collectif. En fait, les identités se construisent et s’actualisent sans cesse.

Le terme identité vient du latin idem, c’est à dire le même (identique). Aujourd’hui il sert à désigner des phénomènes aussi divers et variés que les conflits ethniques (décrits comme des conflits identitaires), les statuts et les rôles sociaux (l’identité féminine, l’identité personnelle), les cultures de groupes (identités nationales ou religieuses), les pathologies mentales (les troubles de l’identité) ou encore pour exprimer l’identité personnelle (quête de soi, le moi, …).

En se généralisant, la notion d’identité a perdu de sa consistance. Elle est devenue une notion vague et inconsistante qui sert à désigner des phénomènes dont la cohérence n’est pas avérée. Trois domaines d’études sont concernés par notre réflexion : L’identité des groupes, l’identité sociale et l’identité personnelle.

L’identité des groupes

Ce que l’on nomme identité collective, c’est à dire celle des groupes d’individus qui selon les cas peuvent être  des nations, des minorités de migrants, des groupes religieux ou ethniques ; est le domaine privilégié des sciences humaines.

Jusqu’aux années 80, les sciences humaines avaient une vision « essentialiste » de l’identité des groupes. C’est à dire qu’elles considéraient les identités collectives (que l’on désignait à l’époque sous le vocable d’ethnie ou de culture) comme des réalités homogènes, closes sur elles-mêmes et stables au fil du temps.

 Dans les années 80, les anthropologues se sont démarqués de cette vision. Dans son ouvrage « Logiques métisses : anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs » 1990, Jean-Loup Amselle critique la vision essentialiste des cultures. Il précise qu’en Afrique, les ethnies et les peuples forment des réalités composites, complémentaires qui résultent  de dynamiques culturelles en perpétuelle recomposition. D’après lui, toute culture collective est « métissée ». Elle partage avec les autres appartenances avec lesquelles elle est en contact certaines caractéristiques communes ; la langue, la religion, des modes de vie, une partie de l’histoire, etc. Jean-François Bayart, dans « l’illusion identitaire » 1996, précise que les « traditions culturelles » que l’on croit très anciennes, sont souvent très récentes du fait des processus d’appropriation multiples qui les concernent. Ainsi le thé à la menthe, très consommé au Maroc y a été introduit par les Anglais au dix-huitième siècle (eux-mêmes l’ayant « récupéré » en Inde) et ne s’est généralisé à l’ensemble du Maghreb que récemment. Bayart parle de « stratégie identitaire » pour analyser le fait que certains groupes reprennent à leur compte des images, des représentations, des symboles (quelle que soit leur provenance) pour revendiquer leur autonomie dans le cadre de mobilisations politiques.

Le sociologue américain George H. Mead est l’un des premier à affirmer que la conscience de soi n’est pas une production individuelle, mais résulte de l’ensemble des interactions sociales dans lesquelles l’individu est impliqué. D’après lui, chacun perçoit son identité en adoptant le point de vue des autres et celui du groupe social auquel il appartient. Le sentiment d’identité n’est pas une donnée à-priori de la conscience individuelle, mais le résultat d’un processus de socialisation qui intervient tout au long de l’enfance.

L’acquisition du langage amène d’abord l’enfant à se désigner lui-même par son prénom, puis à dire « je ».

Ce sont les normes inculquées par la famille, l’école et les amis qui constituent les valeurs de chacun.

Le psychanalyste et anthropologue américain Erik H. Eriksson a une approche comparable de l’identité personnelle. Il dit qu’elle naît de l’interaction entre mécanismes psychologiques et facteurs sociaux. D’un côté, en effet, le sentiment d’identité résulte de la tendance du sujet à établir une continuité dans son expérience de lui-même. De l’autre, il est clair que le sentiment d’identité prend appui sur les identifications aux modèles proposés par les groupes primaires auxquels le sujet appartient.

L’identité sociale et statutaire

Décliner son identité, ne revient pas simplement à revendiquer une appartenance culturelle (ethnique, religieuse, nationale, etc.). C’est aussi affirmer sa position au sein d’une collectivité, au sein de la société. Cette position nous est donnée par notre tranche d’âge (enfant, adolescent, adulte), notre place au sein d’une cellule familiale (époux, épouse, frère, sœur, cousin, cousine), une profession (avocat, agriculteur, boulanger, etc.), une identité sexuée (homme ou femme), des engagements personnels (syndicaliste, parti politique, humanitaire, etc.). Ces positions sont bien évidemment non exhaustives. A chacune d’elles correspondent des rôles et des cadres sociaux plus ou moins affirmés. Ce phénomène a été longtemps étudié par les psychologues sociaux à travers la notion d’identité sociale.

Pour George H. Mead (1863 – 1931), la construction d’une identité passe par l’intériorisation des différents « moi sociaux » cités ci-dessus. Il récuse deux conceptions de la société : celle qui pense que la société est une somme d’individualités et celle qui pense que la société est un tout, qui dépasse et englobe les individus. Pour lui, c’est dans le cadre de l’intériorisation de différents rôles sociaux que la conscience de « soi » se crée. L’identité est constituée par l’ensemble des images que les autres me renvoient de moi-même et que l’on intériorise.

Ceci explique le fait que la déstabilisation des cadres de socialisation que sont la famille, le travail, la religion et les appartenances politiques puisse susciter des « crises identitaires.

Dans son ouvrage : « La crise des identités » (2000) Claude Dubar précise que la crise identitaire est profondément liée aux transformations du monde du travail. C’est particulièrement le cas des paysans, des artisans et des ouvriers. Ces professions ont connu des modifications importantes. Les ouvriers s’étaient crées une identité de classe à travers toute une histoire de lutte pour l’amélioration des conditions de travail et aussi à travers toute une symbolique et une histoire liées à certains métiers comme la sidérurgie ou les marins pêcheurs.

En ce sens il est pertinent d’évoquer une culture ouvrière qui renvoie à la spécificité des pratiques, des comportements et des modes de vie en milieu ouvrier. Ces spécificités sont d’au moins trois ordres :

- Il y a tout d’abord la valorisation du travail. Même les moments de loisirs et de temps libre demeurent chez les hommes des moments d’intense activité. : bricolage, jardinage, etc.

- Il y a ensuite l’importance accordée à la famille. Plus généralement, l’ouvrier accorde une grande importance à la proximité affective de ses proches.

- Enfin, il y a l’attachement des sociétés ouvrières traditionnelles à une claire division des tâches et du travail entre les hommes et les femmes. Ce qui se traduit par une propension à affirmer les identités masculines et féminines.

Un autre intérêt de la culture ouvrière réside dans le fait qu’elle oblige à rompre avec une vision paupériste selon laquelle les ouvriers seraient dépourvus des moyens de produire une culture.

Cependant, il est important de préciser que la spécificité culturelle ouvrière s’est diversifiée et rapprochée des appartenances élitistes et bourgeoises. En France cela est perceptible à travers l’embourgeoisement d’une fraction importante de la classe ouvrière dans les années 60. Durant cette période, les ouvriers les plus aisés accèdent à la propriété privée, aux loisirs et la scolarisation de leurs enfants progresse. Les ouvriers découvrent ainsi la possibilité de concentrer leur effort sur leur propre réussite et de poursuivre une ascension sociale.

Aujourd’hui le monde ouvrier est en pleine décomposition. La fermeture progressive des sites industriels en France (sidérurgie dans l’Est et le Nord, les mines dans le Nord, les chantiers navals, la construction automobile, etc.) le montre bien, phénomène qui débute dès les années 60 et qui ne cesse de s’amplifier. Ces pôles industriels étaient de hauts lieux de production et reproduction de la culture ouvrière. La désindustrialisation a donc bel et bien amputée la classe ouvrière de ses pôles les plus énergiques et les plus actifs. Elle compromet la survie de la classe ouvrière et par la même de l’identité et de la conscience ouvrière.

On peut faire le même constat à propos d’autres identités ; religieuse, politique, sexuelle, etc. Le diagnostique établi est celui d’une crise des appartenances. Ce qui signifie aussi recomposition des appartenances.

L’identité individuelle

William James (1842 – 1910) distingue trois aspects de l’identité personnelle : le « soi matériel », le « soi social » et le « soi connaissant ».

Le « soi matériel » correspond  au corps de chacun, le « soi social » aux différents sociaux qui nous concernent et le « soi connaissant » renvoie au fait que l’acteur a conscience d’être autonome.

H. Eriksson (1902 – 1944) souligne que l’adolescence est un moment particulier de la formation de l’identité. C’est la rencontre avec autrui qui permet à l’adolescent de se définir par identification et/ou opposition. L’auteur (« Enfance et société » 1950) décrit la naissance de l’identité personnelle comme un processus actif et conflictuel lors duquel interviennent des dimensions sociales et psychologiques ; conscientes et inconscientes.

Selon Anthony Giddens (« La construction de la société » 1984) la faiblesse actuelle des institutions et des communautés sur la vie des individus les conduit à négocier leur choix de vie.

Ces approches montrent en fait que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, au cours d’un long processus qui s’exprime fortement de l’enfance à l’adolescence et se poursuit à l’âge adulte.

De manière permanente, l’image que nous bâtissons de nous-même, nos croyances et représentations de nous constituent une structure psychologique qui permet de sélectionner nos actions et nos relations sociales.

On peut distinguer plusieurs dimensions de l’identité personnelle :

La première est constituée par le désir de continuité du sujet. Cette continuité s’exprime dans l’affirmation d’une appartenance à une lignée, à un environnement, à une culture ou un imaginaire.

Le Deuxième aspect s’incarne dans un processus de séparation/intégration sociale. L’opposition d’un adolescent à sa famille exprime pour lui une différenciation vis à vis de son identité extérieure.

L’identité n’existe qu’en actes. Par exemple, au niveau religieux, l’échelle de l’appartenance se calque sur celle de la pratique. L’identification religieuse est d’autant plus forte que l’on va à la messe, au temple, à la mosquée, etc.

La construction identitaire constitue pour les individus un cadre psychologique (schéma mental, système de représentation). Ce cadre est orienté vers la valorisation de soi et l’autojustification, il structure l’action individuelle.

Conclusion

La généralisation des conflits identitaires semble aujourd’hui acquise. Elle favorise une littérature abondante. L’essayiste américain Samuel P. Huntington a formulé dans un article paru dans la revue « Foreign Affairs » (1993) (article publié en français dans la revue « Commentaire » n°66, 1994) une théorie selon laquelle, au siècle prochain, les principaux conflits seraient menés au nom de ce qu’il appelle les civilisations. Pour valider sa théorie, il dégage huit civilisations : la confucéenne, l’orthodoxie, l’islamique, l’occidentale, la japonaise, l’hindoue, la civilisation africaine et la civilisation d’Amérique Latine. L’auteur prédit un choc violent produit par une coalisation de civilisations non occidentales contre l’Occident.

Le reproche qu’on peut lui faire en dehors du fait que ses thèses se veulent des prédications, est qu’il surestime l’homogénéité des phénomènes culturels. En définissant des entités globales et en leur donnant des objectifs communs, S. P. Huntington oublie les réalités politiques des ensembles qu’il nomme. En accordant une trop grande importance au facteur culturel, l’auteur transforme la réflexion géopolitique en une nouvelle idéologie.


Bibliographie
George H. Mead : « L’Esprit, le Soi et la Société » 1934 (traduction française : Presses Universitaires de France 1963).
Erik H. Eriksson : « Adolescence et crise de la quête d’identité » traduction française Flammarion, 1972.
George H. Mead : « L’Esprit, le Soi et la Société » 1934 (traduction française : Presses Universitaires de France 1963).
Erik H. Eriksson : « Adolescence et crise de la quête d’identité » traduction française Flammarion, 1972.



Màj : 3/10/07 14:43
 
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