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Le texte publié ici a paru pour la première fois dans Bulletin SEDEIS, numéro 905, Supplément numéro 1, 20 décembre 1964.
Il a été repris récemment dans Cahiers Jacques ELLUL, pour une critique de la société technicienne, La technique, numéro 2, mars 2004. Les références de l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber auxquelles nous renvoie Jacques Ellul sont celles de l’édition Plon « Recherche en Sciences humaines » traduit de l’allemand par J.Chavy, Paris 1963, 322 p. La première édition allemande date de 1905. Les références entre crochets nous reportent à l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber, texte intégral, éditions Plon, collection AGORA, première édition 1964, deuxième édition corrigée 1967. Max Weber, l’éthique protestante et l’esprit du capitalismeI
4) Pour répondre à la question, Weber n’adopte pas une voie unilinéaire. Il reprend différents éléments de la rhétorique protestante en procédant à leur combinaison éthique. Il analyse également les apports des diverses étapes de l’évolution du protestantisme et de formes ecclésiastiques ou théologiques, luthéranisme, calvinisme, piétisme, méthodisme, baptisme. Ce qu’il retient essentiellement c’est la conception de la vocation (issue de Luther), le dogme de la prédestination (dans le calvinisme) ; la tendance ascétique (dans le calvinisme et le piétisme), la rationalisation religieuse (dans le méthodisme) et le volontarisme (dans le baptisme). En tout cas, sa thèse générale est que le protestantisme n’a pas « libéré » l’homme. Il combat l’idée, simpliste, que la Réforme serait une réaction contre l’autoritarisme de l’église catholique, sa prétention à tout réglementer et l’autorité du pape. L’idée souvent émise que les marchands et les banquiers ont adhéré à la Réforme serait une réaction parce que cela les délivrait de la réglementation catholique (et particulièrement celle du prêt à intérêt) lui paraît totalement fausse (à moi également). La Réforme institue une nouvelle forme de domination de l’Eglise. Elle ne crée pas de joyeux citoyens, gros consommateurs, etc. Elle donne naissance à un ascétisme d’un nouveau genre, qui appellera l’ascétisme séculier ; et Weber montre que la seule libération des règles anciennes n’aurait pas pu conduire à la formation du capitalisme : c’est l’ascétisme séculier qui a été la base et le motif de l’activité capitaliste.
Une autre conséquence du même dogme, c’est le caractère utilitaire de l’éthique calviniste. Il n’y aucun conflit possible entre l’individu et l’éthique. L’homme convaincu de son salut atteste ce salut par les résultats objectifs de son action. Il s’agit non pas d’actions gratuites pour louer Dieu abstraitement, mais d’atteindre des objectifs utiles et positifs, « une idée exaltait le calviniste : celle que Dieu en créant le monde y compris l’ordre social, a dû objectivement concevoir des moyens de célébrer sa gloire ; qu’il a dû vouloir non pas la créature pour elle-même, mais l’ordonnance du créé soumis à sa volonté. C’est pourquoi libérées par la doctrine de la prédestination, les énergies actives de l’élu se transformaient en efforts pour rationaliser le monde » (p.126-127)[ p.122]. Libérés ? Oui, puisque l’individu n’avait plus à rechercher son salut : s’il était prédestiné, il était sauvé ou perdu de toute éternité, sans qu’il puisse rien changer. Donc il pouvait « s’occuper du monde d’ici-bas ». Et ce texte nous conduit à un dernier effet de la doctrine de la prédestination : la rationalisation. La théologie calviniste est rigoureusement rationnelle. Le comportement de l’homme doit l’être aussi et son action sur le monde, car tout ce qui échappe à cette rigueur est finalement une sorte d’idolâtrie de la chair. Toute relation humaine doit être rationalisée pour échapper au sentimentalisme, etc. Mais cette rationalisation doit être comprise : ce n’est pas un rationalisme, ce n’est pas une rationalisation dernière de la raison. En réalité, la vie du chrétien est rationalisée par rapport à un but unique : accroître sur la terre la gloire de Dieu. C’est à partir de cette fin qu’une vigoureuse rationalisation s’effectue. Il faut alors anéantir la jouissance instinctive et spontanée, mettre de l’ordre dans les conduites individuelles, établir une méthode d’action dans le monde (mais ceci joint à l’idée de vocation, veut dire : méthode dans le travail, dans le comportement économique). La régulation méthodique de la vie personnelle est l’expression éthique la plus sûre de la croyance à la prédestination. Mais cette régulation implique à la fois des êtres soumis à notre autorité, et aussi celle des structurations sociales et économiques. 7) Et ceci mène alors à un nouvel effort du calvinisme : l’ascétisme séculier. Par suite du refus d’idolâtrie à l’égard de la créature, le calvinisme mènera un genre de vie ascétique. Il ne s’accordera aucune liberté, aucun plaisir. Mais ceci n’avait pas tellement une nuance négative que positive : il s’agissait moins de s’empêcher de …, que de se libérer intérieurement des liens étroits qui enserrent l’homme, dans le monde et le péché. L’homme devait ainsi être libéré pour le service de Dieu dans le monde, dans la mise en service des richesses du monde. Autrement dit, il fallait mener une vie sainte dans le monde. Et l’on atteint ici ce que Weber considère lui-même comme l’une de ses thèses fondamentales : « la réforme a fait sortir du monastère ascétique rationnel chrétien et sa vie méthodique pour les mettre au service de la vie active dans le monde ». (p.147). Au fond le calvinisme conduit le chrétien à mener une vie monacale sans monastère. « Les natures passionnément spirituelles et austères qui avaient alors fourni les meilleurs représentants du monachisme étaient forcées de poursuivre désormais leurs idéaux ascétiques à l’intérieur de la vie professionnelle. (p.150). mais dans la mesure où cet ascétisme fondé sur ka prédestination s’exprime dans une rationalité et une intervention sur le monde, il va s’exprimer non pas dans la conduite exclusive de sa propre vie, mais dans une volonté d’organisation sociale en considération de l’au-delà. Weber montre alors comment ces différents éléments, inclus dès le début dans le mouvement de la Réforme, se sont accentués au XVIIe et XVIIIe siècle, dans les tendances piétistes, méthodistes, baptistes, et ont donné le style de vie puritain. 8) La création de cet état d’esprit, de ces convictions, de ce style de vie ont enfin abouti à créer un « esprit », l’esprit du capitalisme, qui, considéré de point de vue éthico-économique (et non plus dans la perspective théologique) donnait à peu près ceci. Ce qui est inacceptable, ce n’est pas la possession des biens et des richesses, mais la consommation ostentatoire, le plaisir dans la consommation et le repos dans la possession : le fait de se satisfaire de ce que l’on a et d’y mettre sa joie et sa confiance. Sont également inacceptable le repos et le mauvais usage du temps. Gaspiller son temps devient le plus grave de tous les péchés. Et l’on passera rapidement par la combinaison de ces deux jugements à la formule que le temps c’est de l’argent. Et, de même, que l’exercice de son travail est « une célébration du culte divin ». Le travail acquiert donc une valeur en soi, non pas pour acquérir ni pour aboutir au repos, mais comme moyen de mortification et obéissance à Dieu. La conception du travail qui doit être fait le mieux possible conduit à la conception de la division du travail, préconisée et justifiée par les luthériens et les puritains. Or, en face du travail, la richesse acquiert aussi une valeur, comme signe de bénédiction, comme expression que l’on a réussi à remplir sa vocation. Mais cette richesse ne doit pas conduire à consommer : elle ne peut consister que dans un outil pour davantage travailler. La combinaison de ces deux éléments conduit donc à l’attitude capitaliste : travailler sans relâche quelle que soit sa richesse. Et acquérir des richesses pour travailler mieux. On assiste alors à une volonté d’acquisition rationnelle et une lutte contre l’usage irrationnel des possessions. Enfin cette discipline que le puritain s’imposait, il l’imposait aux autres, et cette éthique du travail valait aussi pour les ouvriers : « la puissance de l’ascétisme religieux mettait à sa disposition des ouvriers sobres, consciencieux, d’une application peut commune, faisant corps dans une tâche considérée comme un but voulu par Dieu » (p.240)[ p.218]*. Donc l’éthique protestante va favoriser le développement de la classe ouvrière, va permettre psychologiquement l’intégration de cette classe dans le système capitaliste. Ainsi tous les facteurs éthico-psychologiques sont rassemblés pour que le capitalisme dans ses formes économiques et institutionnelles devienne possible. IICette grande analyse sociologique a fait l’objet de nombreuses critiques qui, il faut bien le dire, proviennent d’une lecture hâtive et superficielle de ce travail extrêmement minutieux et complexe. Nous allons résumer ces critiques car elles servent à préciser le sens de l’œuvre de Weber.
Enfin on peut rappeler une dernière fausse critique : on a contesté que les protestants aient tenu et tiennent une si grande place dans le développement du capitalisme. On a montré d’autres analyses statistiques, on a rappelé le développement capitalistique de l’Italie, etc. Mais là encore Weber avait répondu d’avance en soulignant qu’il n’analysait pas la situation du capitalisme développé, la place tenue concrètement par des protestants dans le capitalisme adulte, mais le problème des origines et de ce qui a rendu possible l’éclosion du capitalisme. Il reconnaît parfaitement que la situation a changé, que ce ne sont pas forcément les protestants qui sont devenus capitalistes mais que leur état d’esprit, leur style de vie a gagné toute une société, même si celle-ci n’adhérait pas au dogme réformé. Il rappelle en outre que le capitalisme développé, institué, n’a plus besoin à la fin du XIXe siècle de l’appui et de la justification éthico-religieuse : « chacun trouve aujourd’hui en naissant l’économie capitaliste établie comme un immense cosmos, un habitacle dans lequel il doit vivre et auquel il ne peut rien changer, du moins en tant qu’individu » (p.55)[ p.51]. Donc il n’est plus nécessaire aujourd’hui pour perpétuer le capitalisme d’adhérer à la morale puritaine. Les capitalistes ont une attitude indifférente ou hostile au christianisme, l’esprit capitaliste ne repose plus sur une conviction éthico-religieuse, mais sur une adaptation aux conditions économiques. « Le puritain voulait être un homme besogneux, et nous sommes forcés de l’être » (p.245). mais à l’origine, pour procéder à la mutation, il fallait le facteur religieux sans quoi rien n’aurait pu s’ordonner en ce sens.
attention sur un fait vrai, localement, inexact si on le généralise, et qu’à partir de ce signal ; il a procédé à une analyse toujours plus profonde du phénomène, qui a une certaine profondeur est exacte même su dans l’aspect superficiel du phénomène sa généralisation ne l’est pas. Je dirai la même chose au sujet d’une autre objection que je pourrais faire : Weber prétend analyser l’état d’esprit des protestants moyens aux XVIIe et XVIIIe siècle. Mais pour ce faire, des écrits de morale, des recueils de sermon, des livres de piété, c’est à dire des documents rédigés par des pasteurs, des intellectuels, des théologiens. Il reconnaît ne pas s’être servi de la littérature biographique. Peut-on décrire le protestant moyen à partir de cette formulation intellectuelle ? je sais bien que Weber rappelle à juste titre que, à ce moment, la distance entre la foi prêchée et la foi vécue n’était pas du tout aussi considérable qu’aujourd’hui, et que les groupements protestants le contrôle mutuel de la rectitude de la vie était très rigoureux. Weber rappelle aussi qu’il cherche à tracer un modèle sans prétendre que chaque puritain y répondait exactement. Cependant il est un peu plus gênant de décrire un ensemble d’attitudes et un style de vie d’après des témoignages théoriques. Et malgré tout, je ne crois que le résultat atteint par Weber soit inexact. Cer il finit par formuler un état d’esprit global dont on peut dire que les écrits en question sont moins les promoteurs que les reflets et les conséquences. Ces sermons, ces conseils éthiques s’inscrivent dans ce qui est communément admis, et ne sont pas des impulsions vers un nouveau. L’observation suivante confirme cette appréciation : si on place ces recueils dans l’ordre chronologiques on s’aperçoit qu’ils vont dans le même sens, chacun renforçant, durcissant, précisant les tendances des précédents.
Tout d’abord Weber ne tient aucun compte du fait que ce lien entre éthique réformée et structure capitaliste a été possible, si la transformation religieuse a eu de tells conséquences socio-économiques, c’est que le tout se situe dans une chrétienté, parce que la société avait été mise en forme par l’Eglise, parce que caque individu (même les opposants) se reconnaissait chrétien, comme un préjugé sociologique évident, pour cela l’ascétisme séculier a pu se développer : s’il a pu quitter les couvents, c’est parce que la société tout entière était conçue comme chrétienne. Weber n’a peut-être pas vu l’importance de ce fait parce qu’écrivant dans l’Allemagne de 1900, il était lui-même situé dans une société de chrétienté. Mais c’est uniquement dans la mesure où il allait de soi que l’on était chrétien, qu’un grand nombre d’individus ont adopté cette éthique, précisément parce qu’elle apportait le moyen d’attester de l’authenticité de sa foi, donc d’avoir une approbation sociale. Et c’est dans la mesure où la structure de la société était celle de la chrétienté, que l’on a pu considérer comme normal que cette éthique s’inscrive dans un comportement économique. Une seconde lacune concerne spécifique de la théologie de la Réforme. Calvin a tout particulièrement insisté sur la transcendance et sur la distance incommensurable entre l’homme et Dieu. Or, si cette extrême rigueur entraîne une attitude religieuse de renoncement et d’humilité, elle provoque aussi une sorte de rejet de l’homme vers le monde. Au fond, joue inconsciemment le raisonnement suivant : « si je ne peux pas atteindre Dieu, rien savoir de Lui que ce qu’Il révèle, rien rejoindre ’du ciel’, alors je sui rejeté vers la terre. C’est sur la terre que toute mon activité doit s’exercer, c’est la terre qui me concerne ». Sans doute Weber a bien montré l’opposition du tempérament mystique et du tempérament ascétique, mais il aurait mieux appuyé sa démonstration en l’appuyant sur cet aspect de la théologie calvinienne. Manifestement un des « nœuds » de la mentalité calviniste lui a échappé ici. Et c’est dans le même sens que je soulignerai une autre défaillance. Weber n’a pas remarqué que l’une des mutations extrêmes de la Réforme a été la suivante : dans la perspective traditionnelle, les œuvres sont destinées à influencer la décision de Dieu sur notre salut. Dans ma doctrine calvinienne, les œuvres sont faites par ce que la grâce est accordée. Elles viennent après la certitude du salut, comme une conséquence, un prolongement, la réponse à la grâce prévenante. Or, Weber a bien vu que la prédestination n’entraînait pas la passivité : il a longuement essayé de l’expliquer. Mais la véritable explication provient de ce renversement : c’est parce que je suis prédestiné au salut, que je peux agir des œuvres bonnes, et que je dois le faire pour remercier Dieu de son amour. Sur ces deux points, weber aurait pu renforcer sa démonstration, en faisant découler ses conclusions d’autres éléments que le presque unique élément de la prédestination, ce qui lui a été reproché. On a dit en effet que Weber avait eu tord de s’appuyer tellement sur la prédestination qui n’était pas un dogme central de la Réforme. Enfin un autre aspect considérable, qui n’est pas retenu par Weber, c’est celui de la désacralisation. Si l’activité technique a pu prendre l’essor qu’elle a eu à partir du XVIIIe siècle (et qui a aussi conditionné le développement du capitalisme), c’est parce que la Réforme a désacralisé la nature. Celle-ci n’est plus considérée ni avec les restes du paganisme animiste qui subsiste au Moyen Age, ni avec la conviction qu’elle participe de la nature divine. Une des conséquences de la rigoureuse transcendance de Dieu, est radicalement séparée de Lui. Il n’y a donc aucune attitude sacrée, aucun respect sacré à avoir envers la nature. Celle-ci est une sorte de domaine livré à l’homme pour être exploité. L’homme peut faire ce qu’il veut dans cette nature complètement laïcisée. Nous avons là aussi un renversement de conception décisif qui a préparé la possibilité d’une application sans frein des techniques. Il est très regrettable que pour parachever sa démonstration, Weber n’ait pas explicité cette attitude des protestants. Mais on voit que par ces critiques mêmes nous apportons un appui à la thèse de Weber. III Mais la richesse du livre de Weber ne tient pas seulement à l’explication de sa thèse elle-même, sur la relation entre l’esprit du capitalisme et l’éthique protestante. Il soulève aussi des problèmes généraux de sociologie et d’histoire.
Il a bien montré la spécificité du capitalisme occidental des XVIIIe et XIXe siècle. Il proteste conte l’attitude qui consiste à « mettre dans le même sac les façons les plus diverses d’acquérir de l’argent » et aussi contre l’idée que c’est la recherche de l’argent ou le désir d’acquisition qui serait le critère de définition du capitalisme. Le pirate n’est pas un capitaliste ! Weber a montré que l’on ne peut vraiment parler de capitalisme que là où il y a un véritable esprit d’esprit économique. C’est moins le capital en lui-même qui est décisif, que la considération que l’on en a, l’usage que l’on en fait et l’ordonnancement d’une structure économique : « le problème moyen de l’expansion du capitalisme moderne n’est pas celui de l’origine du capital, c’est celui du développement de l’esprit capitaliste. Partout où celui-ci s’épanouit, il crée son propre capital ; et ses réserves monétaires, ses moyens d’action, mais l’inverse n’est pas vrai » (p.72)[ p.71]. L’esprit capitaliste est celui qui associe une valorisation morale au travail et à l’acquisition de l’argent, qui en fait un style de vie. L’argent n’est pas destiné à la consommation mais devenant une sorte de valeur abstraite et une fin en soi. « L’argent est à ce point considéré comme une fin en soi qu’il apparaît comme entièrement transcendant et absolument irrationnel par rapport au bonheur de l’individu » (p.53)[ p.50]. Autrement dit, on ne peut parler à n’importe quel propos de capitalisme : si on veut faire œuvre utile dans l’étude sociologique, c’est à partir des différences entre les systèmes, et de leurs spécificités, et non pas en procédant à des amalgames ou des identifications grossières. On ne peut savoir ce que le capitalisme, la classe sociale, la nation, l’Etat dans la société actuelle que dans la mesure où on ne prétend pas les identifier à des phénomènes permanents de l’histoire, perceptibles dans toutes les sociétés.
Et il montre que des conditions économiques capitalistes réunies à Florence au XIVe siècle n’ont produit ni un système capitaliste ni une idéologie capitaliste, alors que l’esprit capitaliste naît principalement et se développe avant la structure économique : "au milieu des forêts de Pennsylvanie, où les affaires menaçaient de dégénérer en troc par simple manque d’argent, où l’on trouvait à peine trace de grandes entreprises industrielles, où les banques n’en étaient qu’à leurs tout premiers pas ». [p.77]. Mais dans la pensée de Weber il semble qu’il faille distinguer deux niveaux. D’une part en ce qui concerne le phénomène capitaliste, pour lui, indiscutablement l’esprit capitaliste a précédé et a formé les conditions économiques. Mais cela ne veut pas dire qu’il doit en être ainsi chaque fois. Il récuse le marxisme parce qu’il est une interprétation univoque, appliquée mécaniquement en toutes circonstances. Il dit expressément qu’il ne serait pas plus exact de lui substituer une autre interprétation (idéaliste par exemple). Donc ce qu’il constate pour les XVIIe-XIXe siècle occidental ne lui paraît pas généralisable. Ce n’est pas un système d’interprétation qu’il met sur pied. D’autre part, et d’une façon cette fois générale, il affirme la non-dépendance du phénomène religieux par rapport au phénomène économique. Et là encore apparaît une différenciation : le fait religieux fait partie de nombreux faits historiques et d’innombrables circonstances qui ne peuvent s’insérer dans aucune loi économique, ni recevoir aucune explication de cette espèce concourant à la formation d’Eglises, de mouvement de réforme, etc. parmi ces facteurs étroitement mêlés au religieux les conditions politiques lui paraissent beaucoup plus déterminantes que les faits économiques. Sous un autre aspect, il semble à Weber que de toute façon « les idées religieuses ne se laissent pas déduire tout simplement des conditions économiques ; elles sont précisément les éléments les plus formateurs de la mentalité nationale, elles portent en elles la loi de leur développement et possèdent une force contraignante qui leur est propre ». (p.233). Donc si, d’un coté, de nombreux éléments concourent à la formation du fait religieux, d’un autre coté ces éléments ne peuvent pas en rendre totalement compte, il y a une indépendance généralisable du fait religieux, qui obéit à ses lois spécifiques et qui réciproquement intervient dans le cours des autres phénomènes et les modifie par sa spécificité même- qui plus est, l’idéologie religieuse a une force contraignante pour la vie sociale de l’individu qui ne lui vient de nulle part alliance avec d’autres forces. L’analyse du XVIie – XIXe siècle occidental vient alors confirmer cette vue générale, mais n’en est pas le fondement. Weber a étudié le même phénomène dans plusieurs de ses ouvrages pour le confucianisme, le bouddhisme et le judaïsme. Enfin, je voudrais indiquer un aspect de cette œuvre qui est peu développé, amis assez provocateur. Il s’agit de la relation entre le capitalisme, l’éthique protestante et la classe sociale. Là encore, Weber récuse l’importance de la classe sociale comme facteur créateur. le calvinisme n’est nullement lié à une classe déterminée. Il y a beaucoup d’artisans et de commerçants, mais plus encore de paysans et, en proportion, de nobles. La doctrine de la Réforme n’a pas exercé une attraction spéciale sur les commerçants. Ce n’est pas l’intérêt commercial qui s’exprime dans cette éthique. Par contre, il est vrai que le calvinisme stimule l’esprit des affaires, donc pousse en avant une classe et l’aide à se former. La diaspora calviniste fut »comme la pépinière de l’économie capitaliste » (p.43)[ p.39] mais il n’y a nulle identité. Le calvinisme a donné aussi naissance à des groupes sociaux, très en marge du mouvement capitaliste, et a maintenu les fortes traditions paysannes. Inversement, « les grands capitalistes » du XVIe siècle, les plus grosses fortunes en Hollande, en Allemagne, en France n’adhèrent pas au calvinisme. Mais aussi ce n’est pas parme les « grands capitalistes » que naît l’esprit du capitalisme. C’est la moyenne bourgeoisie qui est typique de l’alliance de l’éthique capitaliste et de la religion calviniste. C’est là que naît cet esprit du capitalisme : ainsi la classe sociale n’est pas une simple image de sa situation sociale, c’est elle aussi qui forge ses structures économiques et leur idéologie (p.69)[ p.67]. Un même enseignement religieux aboutit à des formes de vie différentes, mais ce n’est pas pour des raisons de classe que l’on adopte cette religion. Il n’y a pas une idéologie de classe et l’idéologie n’aboutit pas forcément à la création de groupes sociaux homogènes. Lorsqu’un groupe social exerçant une activité en développement (« les entrepreneurs du XVIIe siècle) rencontre une éthique modelant la vie et fournissant des motivations profondes, il reçoit une extraordinaire impulsion lorsque cette religion et cette éthique permettent de trouver un style de vie donnant à l’activité économique son maximum de sens et d’efficacité : alors le groupe en question tend à devenir une classe sociale. Il me semble que c’est dans cette perspective que se situe la conception des classes sociales de Weber, qu’il n’explicite pas dans cet ouvrage où l’on trouve seulement les linéaments de ce qui sera développé dans Wirtschaft et Gesellschaft.
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![]() Màj : 3/10/07 14:43 |
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