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21/07/04 Carlos Montaña
correspondant à Madrid d'Oña Catalaña
CARTES

Le paradoxe Catalan

On dénombre, dans le monde, quatre cents millions d’hispanophones et seulement dix millions de « catalanophones » potentiels. Dans ce chiffre, nous incluons les Catalans, les Français et les Italiens qui parlent le catalan. Si nous devions donner une idée des particularités de cette langue et de sa situation, nous pourrions dire : le catalan est dans un état qui est ni bon, ni mauvais. Notre dernier bonheur? la décision de l’Union Européenne de ne pas reconnaître le catalan comme langue officielle. Un paradoxe qui donne, par exemple, des droits à de nouveaux pays comme Malte et la langue maltaise parlée par 360 000 personnes (selon les chiffres de l’Union Européenne).

« Catalunya triomfant tornarà ser rica i plena… ». « La Catalogne deviendra un jour riche et pleine ». Ces paroles de l’hymne national illustrent la fierté du Catalan à défendre sa nation, son pays, sa langue, sa culture et sa manière d’ appréhender la défaite – à l’image des irlandais. Fêter la défaite du 11 septembre 1714, n’a rien de romantique, nous ne commémorons que des faits historiques: la nation a perdu ses institutions, sa culture, sa langue (signe identitaire) et son territoire initial (Roussillon, Languedoc, Catalogne, Aragon, le Pays de Valence, les Iles Baléares et plusieurs places du Nord de l’Afrique et de l’Ile de Sardaigne).

L’arsenal de destruction

Si les « connections » de la dynastie catalane avec l’Occitanie ont joué en faveur de la poursuite de l’usage littéraire du provençal jusqu’au quinzième siècle, pour les mêmes raisons ( alliances dynastiques), le castillan est devenu une langue « attractive ». Le catalan devint uniquement la langue du peuple, des artisans, des gens de la campagne…
Dans le pays de Valence le processus d’ « Hispanisation » a commencé plus tôt. Il a touché d’abord la noblesse puis la bourgeoisie. A la fin du XVe siècle, les institutions civiles et ecclésiastiques étaient « hispanisées ». Le Roussillon, annexé par la France à la suite du traité des Pyrénées (1659), finira par parler la langue française.

Nous pouvons faire remonter le début de l’agonie de la nation catalane à la guerre de Succession espagnole -1700-, guerre qui opposa les partisans de l’Archiduc Charles d’Autriche à Philippe V de Bourbon qui en sorti vainqueur. Cette constitution d’un nouvel état absolutiste a permis la promulgation, sur le territoire de la Couronne d’Aragon, des 3 « Décrets de Nova Plana » ou décrets d’interdiction en 1707, 1715 et 1716. Le premier a concerné le Pays de Valence, le second : l’Aragon et le troisième : la Catalogne. Tout cet ensemble constitue un arsenal de destruction des institutions, du gouvernement, et entraîne l’ « hispanisation » de l’administration. Vont suivrent l’interdiction de parler catalan dans les écoles et dans l’administration judiciaire (1768) et la possibilité de publier des livres dans cette langue.

Durant le XIXème siècle, la pression contre le catalan augmente avec la montée d’un état espagnol libéral. En 1862, la communication écrite doit être faite en espagnol. Le catalan pourra être parlé sans problème aux îles Baléares et en Andorre. Par contre, on vit apparaître un mouvement culturel connu sous le nom de « Renaissance ». Il revendique et défend l’utilisation du catalan comme langue littéraire. Ce mouvement deviendra le ciment politique du « catalanisme ». En 1868, le philologue Pompeu Fabra initiera la réforme de l’orthographe à travers le magazine républicain L’Avenç. En 1907, l’Institut d’Etudes catalanes fut créé. De cette institution sortiront les normes orthographiques (1913) qui seront reprises par la Macomunitat de Catalunya (1914-1924). Un petit espoir naissait.
Au début du XXème siècle, la reconquête de la langue catalane est tangible. Les publications en catalan gagnent du terrain, ceci dans tous les domaines : la presse satirique et « Papitu », enfantine avec « Patufet », et d’information politique « la Veu de catalunya ». Il faut souligner qu’à cette époque l’expansion de la langue espagnole est très importante à cause de son usage obligatoire à l’école, durant le service militaire et au travers des migrations de population du reste de l’Espagne vers la Catalogne.

La deuxième République (1932) accorde le statut d’Autonomie qui reconnaît le catalan comme langue officielle. Malheureusement cela ne servira à rien malgré des initiatives culturelles en Catalogne; la cause ? Quarante années de dictature (1936-1976). Pendant toutes ces années, il y eut une production littéraire en catalan, elle était le fait d’intellectuels exilés en France ou sur le continent américain particulièrement au Mexique.

A la mort du dictateur ( 1976), la nouvelle Constitution espagnole (1978) reconnut pour la première fois la pluralité linguistique et culturelle des différentes Communautés Autonomes. La Catalogne jouit d’un nouveau Statut d’Autonomie, elle se dote d’un gouvernement : La Généralité. En 1983, cette institution historique approuve la Loi de Normalisation Linguistique. Il en est de même au Pays de Valence également en 1983, puis en 1986 aux Iles Baléares. En 1998, grâce à une deuxième Loi de Normalisation Linguistique, la langue officielle de la Catalogne devient le catalan. Dans les domaines de l’éducation et de l’administration, le catalan est considéré comme une langue co-officielle. Ce processus est connu sous le nom d’immersion linguistique. De plus en plus la langue espagnole est laissée de coté.

L’immersion linguistique

Peut-on parler de génocide culturel provoqué par l’histoire ?
Dire que les Israéliens ont utilisé des méthodes de ségrégation contre les Palestiniens à cause du nazisme serait aussi ridicule que de dire que la normalisation de l’usage du catalan est d’autant plus stricte que cette langue a souffert de quarante années d’interdiction. Trouver des causes sociologiques ou des réponses à de tels paradoxes n’est pas simple. L’immersion linguistique incarne la défense politique du catalan; c’est l’expression d’un nouveau nationalisme plus libre avec des signes identitaires (la langue) très clairs. Mais il est vrai que le catalan devra se guérir, d’une manière ou d’une autre, de son histoire.

L’introduction progressive du catalan comme langue officielle dans les écoles et l’Université est un fait. Cela a démarré en 1983 et durant quelques années il fut possible de choisir entre le catalan et l’espagnol. A partir des années 1987-1988, à l’exception de l’enseignement du castillan, toutes les matières sont données en catalan. C’est là où réside le paradoxe. Des enfants, au démarrage de leur formation, sont incapables de s’exprimer correctement en espagnol, qui selon la Constitution espagnole est la langue officielle. Le catalan doit être protégé, oui mais comment ? Y-a-t il une solution ? Regardons la réalité.

Radiographie de la langue

Selon une enquête de l’IDESCAT (Institut de statistique de Catalogne) datée de 2002, sur une population de 6 215 281 habitants âgée de plus de 10 ans, 94 % comprennent le catalan, 75 % peuvent le parler, 74,5 % le lisent et 49,8 % l’écrivent. Si nous prenons pour référence les chiffres de 1986, nous constatons une progression de la pratique du catalan. A l’époque cette langue était comprise par 90,6 % d’une même population, parlée par 64,2 %, lue par 60,7 % et écrite par 31,6 %. C’est un changement qui marque un progrès car en valeur absolue, plus un peuple s’exprime dans sa propre langue, meilleure est la situation.

Ce qui est nouveau, c’est le phénomène d’asymétrie dans le bilinguisme. Selon le même institut de statistiques IDESCAT, sur plus de 6 millions d’habitants, seuls 2 670 100 personnes considèrent le catalan comme sa langue propre, 2 424 700 considère l’espagnol comme la leur, enfin une minorité de 283 200 revendiquent leur bilinguisme. Il faut également souligner que l’espagnol est la langue qui est la plus parlée à la maison.

La résistance de l’Europe à parler catalan

Le dernier chapitre de cette tragi-comédie c’est l’Union Européenne qui nous l’offre. Cette institution a décidé de ne pas prendre en compte les revendications du gouvernement espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero (PSOE-Parti Socialiste Ouvrier Espagnol). Cette formation politique a porté au Conseil de l’Union du 17 juin dernier, les pétitions des nationalistes catalans (ERC) qui demandaient la reconnaissance officielle de la langue catalane dans la nouvelle Constitution Européenne. Le catalan parlé par une population d’environ 10 000 000 de citoyens aura une situation différente de celle du maltais parlé par 360 000 personnes, le lituanien (3 050 000), le slovaque (5 4770 000), le danois (5 100 000), le finnois (4 800 000), le letton (1 400 000), l’estonien (950 000). Toutes ces langues sont reconnues comme « langue de travail » avec la forte prérogative que constitue la traduction obligatoire dans leurs langues respectives de tous les documents de l’Union… et pas le catalan…

Paradoxe ou quelque chose d’autre ?


 



Màj : 3/10/07 14:43
 
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